Le bien-être animal, une notion subjective

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S’il est quasiment admis par tous que les animaux peuvent ressentir la douleur physique ou morale, la définition même de bien-être tend à fluctuer selon les idées préconçues concernant les composantes essentielles de cet état.
Comment l’étudier, être objectif, trouver une définition consensus ? Et quels apports sur la conservation des animaux ?

Evidemment, il est facile pour un être humain d’évoquer son ressenti dans une situation donnée, de cerner la cause de son préjudice moral ou, au contraire, ce qui lui procure une satisfaction .
Pour les animaux étudiés, l’accès à cet état émotionnel n’est pas si direct. Nous supposons, à partir de données perçues, leurs états de bien-être ou non, en les comparant aux valeurs spécifiques de l’espèce, et ne prenant en compte qu’une partie réduite de ce qui peut influer sur cet état.

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Le bien-être animal est un concept qui apparaît dans les années 1960 quand les conditions de productions intensives sont dévoilées au grand public. Cette préoccupation du bien-être animal pour l’élevage s’est ensuite étendue aux animaux de laboratoires, animaux domestiques et animaux de parcs zoologiques.
La définition fluctua depuis selon que l’on s’intéressait soit à la bonne santé des animaux, soit à leurs conditions de vie, soit aux émotions qu’ils ressentaient. Un consensus estime néanmoins que le bien-être des animaux se définit par les émotions et sentiments qu’ils peuvent éprouver, et que nous pouvons déduire de leurs comportements.
La plupart des études se basent sur cette modalité. 
Spruijt et al. (2001) propose une définition consensus. Le bien-être se définit comme la balance entre des expériences positives et négatives, ou entre des états émotionnels positifs et négatifs. Ces états se produisent à la suite d’un contexte environnemental particulier et ne sont que transitoires. Cet équilibre reflète la capacité d’adaptation des animaux. En d’autres termes, le comportement d’un animal, pour améliorer sa balance émotionnel ou la maintenir stable, face à une situation donnée, reflète son bien-être. Il faut ajouter à cela la notion d’expériences passées, c’est-à-dire l’apprentissage, leur permettant une réponse qualitativement meilleure en terme d’adaptation et de bien-être. Partant de ce principe, la mesure du bien-être animal se fait par observation des comportements face à un challenge, une situation ambiguë (on entend par là, une situation nécessitant une réponse explicite, voir plus bas le biais de cognition).
Dans son étude, Spruijt établit le concept de bien-être comme étant le reflet de l’économie du comportement. On peut supposer que les animaux prennent des décisions rationnelles, en ce sens que leurs choix sont logiques et transitoires. L’économie du comportement est une analogie à l’économie humaine : l’argent est analogue à l’énergie des animaux dépensée dans un but précis (nourriture, habitat, reproduction,…), et l’utilité est analogue aux bénéfices (amélioration de la viabilité biologique, ici le bien être). 

A partir du moment où l’on considère les états de bien-être des animaux comme le résultat de leurs sentiments, leurs états émotionnels, les protocoles mis en place pour assurer leur bien-être passent par la détermination de leurs émotions. Il est évident que cette mesure reste subjective. Mais en multipliant les modalités d’étude, nous pouvons créer une trame assez précise de l’état, à un moment donné, d’un animal, nous permettant de guider les décisions prises pour améliorer son bien-être. 
Les trois composantes principales des émotions sont le comportement, la physiologie et la cognition, à prendre en compte pour l’évaluation objective du bien être. Webster (2005) explique le principe de triangulation associé à ces composantes. Ce schéma permet de donner trois voies d’accès à l’étude. Les mesures des trois points nous donne alors une prédiction de l’état de l’animal étudié, savoir si nous sommes plus ou moins loin de son état de bien-être.

Principe de triangulation pour évaluer le bien-être d’un animal, selon J. Webster (2007)

Le biais de cognition peut-être utilisé pour mesurer l’état émotionnel d’un animal, en observant le jugement qu’il a d’une situation ambiguë, soit un jugement pessimiste soit un jugement optimiste (voir l’exemple des corbeaux et la transmission des émotions). Un individu se trouvant dans un situation de bien-être positif sera optimiste et vice-versa. C’est le cas type du verre à moitié plein ou à moitié vide, si nous sommes dans une situation satisfaisante nous le voyons a moitié plein (optimiste) et inversement. 

Aujourd’hui, le champs du bien-être animal se base donc sur une approche multimodale, supérieure à une étude à une dimension, comprenant les sciences du comportement, des mesures physiologiques et la cognition des individus étudiés, associés aux sciences vétérinaires.

Les mesures physiologiques et de cognition sont en train d’évoluer pour être moins invasives, et des protocoles se développent pour les animaux sauvages, n’étant pas aussi accessibles que des animaux en captivité. Des recherches commencent à émerger, nécessitant encore beaucoup de données, concernant le bien-être des animaux marins en milieu naturel (Clegg and Delfour, 2018). Ces derniers sont sous représentés dans les études, mais de plus en plus exposés aux conséquences des activités humaines (article sur la vulnérabilité des mammifères marins).

Un petit aparté concernant la gestion de population en milieu naturel…
On ne peut pas établir des plans de conservation ou évaluer l’état d’une population en ne se basant que sur la viabilité de la population et sur l’état et le rôle de l’écosystème environnant. Il faut s’appuyer sur les états émotionnels individuels. Le bien-être animal va jouer un rôle important dans les plans futurs de conservation et dans les décisions de gestion des espèces menacées d’extinction. Ainsi tout l’impact du « bien-être » animal est réévalué et prend une dimension unique. La vision rétrograde que l’on avait du bien-être animal comme un concept « hippie » a disparu. Ce concept est devenu maintenant la clé même des mesures de conservation de notre biodiversité !

Spruijt, B. M., van den Bos, R., & Pijlman, F. T. A. (2001). A concept of welfare based on reward evaluating mechanisms in the brain: Anticipatory behaviour as an indicator for the state of reward systems. Applied Animal Behaviour Science, 72(2), 145-171. https://doi. org/10.1016/S0168-1591(00)00204-5

Webster, J. (2005). Animal welfare: Limping towards Eden (UFAW Animal Welfare Series). Oxford, UK: Blackwell Publishing Ltd. https://doi.org/10.1002/9780470751107

I.L.K. Clegg and F. Delfour (2018). Can We Assess Marine Mammal Welfare in Captivity and in the Wild? Considering the Example of Bottlenose Dolphins. Aquatic Mammals 2018, 44(2), 181-200, DOI 10.1578/AM.44.2.2018.181