Le bien-être humain lié aux écosystèmes marins

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Récemment l’IPBES a introduit le concept de « Contribution de la nature aux populations », prenant bien plus en compte les relations ente les êtres vivants et l’environnement, notamment à travers la culture. Les herbiers sous-marins sont mondialement reconnus pour la biodiversité qu’ils renferment et le soutien à l’alimentation humaine, ainsi que pour réguler notre environnement. Il est intéressant de se pencher sur leurs cas et les liens forts avec les peuples qui les côtoient, afin de créer des programmes de conservation efficaces et respectueux.


Nous savons que les les herbiers marins sont un enjeu majeur de conservation pour la bonne santé des océans, pour la biodiversité mais aussi pour les moyens de subsistance qu’ils nous procurent. Nous savons aussi que les plans de conservation fonctionnent seulement si les peuples autochtones y participent. Il est indispensable de lier les populations aux écosystèmes qu’ils côtoient. C’est ainsi que l’IPBES a introduit le concept de « Contribution de la Nature aux Populations » (CNP), suppléant le précédent terme de services écosystémiques. En effet ce concept prend en compte les relations culturelles et traditionnelles qui peuvent exister entre un peuple et un milieu particuliers. Ce concept se définit comme «  les contributions, à la fois positives et négatives, de la nature (diversité des organismes, des écosystèmes et de leurs processus écologiques et évolutifs associés) à la qualité de vie des personnes » (Diaz et al., 2018).
Malgré cette importance apparente, les contributions de l’écosystème des herbiers marins pour cette région ont reçu peu d’attention dans la littérature académique, limitant la capacité des agences de gestion à prendre des décisions politiques.

Ici nous parlons des herbiers marins d’une superficie de près de 1500 km² dans les territoires insulaires du Pacifique.
Basé en grande partie sur la linguistique, l’archéologie, les artefacts (par exemple la poterie), la datation au radiocarbone et la génétique, il existe trois grands groupes culturels / ethniques qui se sont installés et résident principalement dans trois régions des îles du Pacifique aujourd’hui : la Mélanésie, la Micronésie et la Polynésie (voir la carte ci-dessous).

Chaque région a une histoire de peuplement complexe et un rapport à la nature différent selon les cultures. Toutes n’auront pas la même vision d’une CNP, ne l’estimeront pas de la même manière (positive ou négative).

Les auteurs ont établis une liste de 32 CNP pouvant être présent dans ces régions, selon les recommandations de l’IPBES et une précédente étude de De Groot et al. Ces CNP sont divisés en trois catégories : non matériel, matériel et régulation.

CNP matériel

  • bioindicateur (indique le bon ou mauvais état de l’environnement)
  • compost fertilisant (fucus collectés et mis sur les cultures comme fertilisant)
  • complément alimentaire (une algue mangée comme collation par les pêcheurs)
  • ressources génétiques
  • nourriture pour les espèces détritiques et filtreuses, pour les herbivores
  • source de nourriture pour les humains dans les algues à marée basse (crabes)
  • culture marine
  • nursery pour les espèces des récifs
  • ressources ornementales
  • ressources pharmaceutiques en médecine traditionnelle
  • matière premières (tissages)
  • sources d’alimentation en poissons
  • stock de nourriture supplémentaire (fucus pour le fourrage du bétail)
  • soutien au réseau trophique (alimentation pour les poissons des récifs coralliens la nuit)

CNP de régulation

  • séquestration de carbone (régulation du climat)
  • régulation de l’acidification des océans en augmentant le pH
  • stabilisation sédimentaire donc régulation de l’érosion
  • purification de l’eau : Régule la pollution d’origine terrestre
  • régulation et atténuation des maladies (diminution du % en bactéries)
  • régulation des risques naturels / protection côtière

CNP non matériels

  • valeurs esthétiques (immobilier, photographies, …)
  • satisfaction de maintenir le patrimoine naturel pour le générations futures
  • protection des objets culturels archéologiques
  • source d’inspiration (art, folklores, symbole national, architecture)
  • éducation
  • base des systèmes de connaissances des différentes cultures
  • écotourisme et loisirs
  • recherches scientifiques
  • favorise le sentiment d’appartenance à un peuple et son environnement
  • structures les relations sociales (une société de pêcheurs ne sera pas la même que des nomades)
  • base de nombreuses croyances spirituelles et religieuses

Une étude sociologique et à travers la littérature scientifique déjà parue a permis de mettre en évidence le rôle réel joué par les écosystèmes marins tels que les herbiers pour les peuples insulaires du Pacifique. Nous détaillerons chaque point des fonctions des herbiers qui, in fine, contribuent au bien être des humains.


Résultats

71% du peuplement de la région vit à moins de 1 km des côtes, rendant la fonction des écosystèmes marins plus que prépondérant dans leur vies.
Il est apparu que 30 des 32 SCP pouvaient être identifiées à travers les zones d’études. Mais les populations n’étaient pas forcément conscientes de la présence des ces contributions. En effet les principales SCP reconnues sont celles du « matériel », puis le « non matériel et enfin la régulation : quand on peut concrétiser l’effet de la nature sur nos vies, on reconnait l’utilité de la nature…

Les herbiers marins comme lieu de pêche

Étonnamment très peu de données sont fournies par les études sur ces lieux de pêches car cette dernière dans les herbiers est regroupée sans distinction avec la pêche sur récif, dans les vasières ou les mangroves. Or il est apparu dans l’étude que la pêche dans les herbiers a un grand intérêt pour les peules car représentant un moyen de subsistance et de sécurité alimentaire non négligeable et engendrant un vrai mode de vie. De plus ces prairies ont une densité de poissons volumineuse.
Les insulaires du Pacifique utilisent une grande variété de méthodes (par exemple filets, lances, pièges, poisons et stupéfiants par exemple une toxine extraite du concombre de mer) pour collecter un large éventail de ressources marines dans les écosystèmes d’herbes marines.
Le glanage des ressources à marées basses se fait à toute heure du jour et de la nuit suivant les marées et principalement par les femmes.
Les herbiers peu profonds ont un rôle capital pour maintenir en bonne santé les herbiers plus profonds, une source d’alimentation à de nombreuse espèces et pour assurer la pérennité des espèces avec l’alevinage ou la mise à l’abri la nuit des poissons de récifs coralliens.

Les herbiers marins comme source de nourriture pour les herbivores

Les herbiers ne sont pas seulement une source d’alimentation pour les poissons ou les humains, mais aussi une réserve de nourriture pour les herbivores comme les tortues vertes ou les dugong.
L’exploitation des tortues vertes par les humains a été si grande qu’elles sont dorénavant protégées dans les États et Territoires insulaires océaniens par un certain nombre d’accords internationaux et de législations nationales. Elle est classée en voie de disparition selon l’IUCN.
Les dugongs dans les pays insulaires océaniens sont limités à la Mélanésie et à certaines parties de la Micronésie où se trouvent de vastes herbiers marins. Mais à cause de l’augmentation de population et de l’exploitation de cette espèce, elle est maintenant classée vulnérable selon l’IUCN.

Produits ornementaux

Les écosystèmes d’herbiers marins fournissent directement et indirectement des ressources ornementales, notamment des produits utilisés comme bibelots ou souvenirs, la production artisanale et les aquariums d’exposition, à partir de plantes et d’animaux qui dépendent des herbiers. Par exemple, les coquilles de mollusques collectées dans les herbiers marins intertidaux côtiers ont de multiples rôles, y compris l’ornementation, la richesse, la démonstration de statut, et comme attirail rituel, et diverses associations symboliques au sein d’une société.

D’autres produits ornementaux des herbiers comprennent les invertébrés pour les aquariums et les décorations séchées, comme l’étoile de mer bleue commune (Linckia laevigata) récoltée sur les herbiers récifaux des Tonga. On trouve un certain nombre de faune vertébrés, également appréciés dans le commerce ornemental, notamment les tortues vertes (peau et coquille) et les hippocampes séchés (ornement ou médecine traditionnelle),

Malgré les interdictions de commerce de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction) des inquiétude demeurent quant au marché noir de ces objets.

Consommation directe et utilisation de matériel végétal d’herbiers marins

40% des SCP matériels sont fournies par les plantes des herbiers elles-mêmes.
Les rhizomes d’Enhalus acoroides sont consommés crus et leurs fruits sont grillés sur des pierres chaudes pour la collation des enfants. Lors des périodes de sécheresse, où même les poissons sont rares, les insulaires peuvent consommer les tiges et le feuillage de Thalassia hemprichii.
C’est aussi dans ces prairies marines que nous trouvons le jonc de mer utilisé à travers le monde comme matière première et fibre.
Les feuilles sèches d’Enhalus peuvent également servir de rembourrage d’oreillers par exemple.
En raison de sa teneur élevée en azote et en phosphore, les herbiers marins sont utilisés comme agro-engrais dans plusieurs pays du Pacifique. Par exemple les melon d’eau sont beaucoup plus gros et plus doux grâce à ces engrais naturels.

Les feuilles d’Enhalus acoroides sont utilisées en médecine traditionnelle comme médicaments pour soulager la douleur causée par une piqûre de poisson. L’acceptation des usages médicinaux des herbiers marins a augmenté ces dernières années, avec des recherches rapportant les propriétés cytotoxiques et anti-inflammatoires d’extraits de nombreuses espèces.

Autres avantages matériels des herbiers

Il y a un manque évident d’évaluations génétiques pour les herbiers marins, qui n’apparaissent dans aucune région étudiée comme une SCP de ressources génétiques.
Cependant il est reconnu que ces prairies marines peuvent servir de bio indicateur de la santé du milieu marin, certaines régions comme les Tonga ont même inclus les herbiers marins dans le cadre de programme de suivi de la qualité de l’eau .

Bénéfices culturels et spirituels

Chaque région a un nom spécifique pour désigner les herbiers marins, dans la langue locale. Ceci sous-entend une importance culturelle portée envers ces prairies marines.
Par exemple, dans les îles Salomon, les herbiers marins sont connus sous environ 14 noms différents, renseignant sur des points d’écologie comme le dénomination des herbiers à une période particulière : «le mois où les herbiers fleurissent».

Dans certaines parties de la Mélanésie et de la Micronésie, les écosystèmes d’herbes marines sont respectés par de nombreux peuples autochtones côtiers et considérés comme sacrés. Par exemple sur les Iles Salomon, les peuples dépendant fortement de ces herbiers pour leur subsistance, tissent ensemble trois fibres d’Enhalus et invoquent les esprits pour améliorer leurs prises. Cette volonté de sauvegarde améliore la perception des menaces pesant sur les herbiers marins sains et encouragent le soutien aux campagnes et programmes d’éducation.

Les espèces charismatiques qui dépendent des herbiers, comme les tortues vertes et le dugong, ont à la fois une signification matérielle et non matérielle. La tortue verte symbolise la longévité, l’endurance, la tranquillité et la force, le dugong peut être considérée comme un totem sacré du fait de sa grande taille. Mais cette place particulière dans la spiritualité ne leur donne pas un statut de protection privilégié (médecine traditionnelle, cérémonie, …). Tout dépend donc des croyances de chaque peuple ce qui joue évidemment sur les programmes de protection de ces espèces.
Certains sites archéologiques conservés dans les herbiers sont classés au patrimoine de l’UNESCO.

Valeurs de loisirs et touristiques des herbiers marins

Ce sont surtout des zones où on pratique la plongée sous marine pour observer la faune et la flore.
Au Vanuatu, l’observation du dugong est une activité populaire. En raison de la popularité croissante des rencontres avec les dugongs, la Vanuatu Environmental Science Society a élaboré des lignes directrices et un code de conduite pour les opérateurs touristiques lorsqu’ils interagissent avec des dugongs et visitent des zones d’herbiers.
Aux Tonga, les porcs sauvages s’aventurent dans les prairies marines côtières pour chercher des crabes, des moules, des poissons et des rhizomes d’herbes marines à marée basse. C’est devenu une attraction touristique à part entière.

SCP régulatrices

La seule contribution régulatrice perçue comme présente dans toutes les régions est la stabilisation des sédiments. En effet les zones sans herbier présentent un taux d’érosion des côtes plus important.
Selon les régions et donc selon le type d’herbes marines autochtones on peut ajouter les SCP de séquestration de carbone et la régulation des risques naturels / protection côtière. Il s’agit des genres d’herbiers de grandes tailles et persistants (par exemple Enhalus), avec de grandes feuilles épaisses et larges, de gros rhizomes et une biomasse élevée.

Evaluation des herbiers marins

Ces dernières années, il y a eu plusieurs tentatives pour monétiser les biens et les avantages des herbiers marins, car cela peut être un moyen puissant de s’assurer que les contributions des écosystèmes sont valorisées et représentées dans les processus de gestion et de décision politique.
Aux Îles Salomon et à Vanuatu, les herbiers marins ont été évalués aux côtés d’autres écosystèmes côtiers (par exemple les mangroves et les récifs coralliens), pour leur contribution à la protection côtière, mais le niveau de contribution des herbiers marins en particulier n’est pas clair.
L’évaluation économique de la séquestration de carbone est très difficile, il y a un manque d’estimations fiables de l’étendue spatiale des herbiers marins et de la composition des espèces.

Une évaluation complète des SCP nécessite une recherche locale détaillée et un soutien sur le terrain important (y compris financier). Il existe un certain nombre d’approches d’évaluation soit basées sur la production, soit basées sur les coûts et le transfert des avantages; et des méthodes (évaluation des pêcheries, les coûts de restauration, les coûts d’atténuation, etc.) qui peuvent être mises en œuvre pour déterminer la valeur économique totale des SCP. Les plus difficiles seront les valeurs de non-usage (c’est-à-dire non marchandes) qui ne peuvent pas être facilement monétiser, par manque de référentiel.

Les écosystèmes d’herbiers marins dans les régions insulaires sont reconnus comme des habitats marins importants, mais ils sont souvent sous-estimés et marginalisés dans la politique maritime. Faciliter la conservation des écosystèmes d’herbiers marins nécessite des politiques fortes. Pour gérer de manière la plus harmonieuse et efficace ces écosystèmes marins particuliers, il faut que ce soit au niveau local, car nous avons vu que les particularités entre toutes les régions, cultures et ethnies, sont grandes. Il faut pouvoir adapter les programmes de protection aux particularités de chaque zone, pour que la population s’y associe.

L’obligation de respecter les accords internationaux et l’utilisation durable des ressources, tout en équilibrant les besoins des diverses parties prenantes et en respectant les arrangements traditionnels, peut être difficile car ce sont les causes profondes des facteurs anthropiques directs qui affectent la nature.


Conclusion

Tirer parti des liens culturels étroits entre les populations et les écosystèmes d’herbiers marins fournit un mécanisme d’autonomisation des populations locales et de renforcement de l’influence des politiques de conservation des écosystèmes d’herbes marines et les contributions qu’ils apportent à la qualité de vie des peuples du Pacifique.

La coproduction et la participation des locaux à la collecte de données peuvent éliminer des barrières entre sciences et vie quotidienne et faire évoluer la réflexion communautaire afin que le grand public soit conscient des problèmes auxquels sont confrontées les ressources en herbiers.


Len J. McKenzie, Rudi L. Yoshida, John W. Aini, Serge Andréfouet, Patrick L. Colin, Leanne C. Cullen-Unsworth, Alec T. Hughes, Claude E. Payri, Manibua Rota, Christina Shaw, Roy T. Tsuda, Veikila C. Vuki, Richard K.F. Unsworth,
Seagrass ecosystem contributions to people’s quality of life in the Pacific Island Countries and Territories,
Marine Pollution Bulletin, Volume 167, 2021, 112307, ISSN 0025-326X,
https://doi.org/10.1016/j.marpolbul.2021.112307