Transmission des émotions chez les corbeaux

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La reconnaissance (et la compréhension) des émotions d’autrui est un des fondements de vie en société. En effet, elle permet de réagir et d’interagir de manière cohérente et adaptée aux situations et aux autres, de maintenir des liens sociaux plus ou moins stables, et par conséquent l’intégrité d’une société. Nous pouvons observer, via les réseaux sociaux, qui multiplient les possibilités de communiquer ses sentiments, ce besoin de partager, de faire connaître ses émotions aux autres.
Qu’en-est il chez les animaux socialement intelligents, comme les grands singes ou les corbeaux pour le cas qui nous intéresse ? Les sentiments font-ils aussi partie des fondements des relations sociales ?


Dés les années 1980, des chercheurs comme Humphrey et Crook, ont soutenu l’idée que l’évolution des sociétés, étroitement soudées, fit que la reconnaissance des autres était un avantage. Je parle ici de reconnaissance dans le sens où nous prenons conscience que les autres sont des êtres ayant des sentiments comme les nôtres. C’est ce qu’on appelle l’empathie.

Bien sûr, il est admis et acquis (heureusement, à part quelques réfractaires) que tous les êtres vivants (je me contente ici des espèces animales) peuvent ressentir la douleur ou le bien-être. Mais savoir si l’animal est conscient de cet état, de la valence de l’émotion qu’il ressent et en prolongement si ces expériences peuvent être partagées, il est difficile de trancher. H. Spencer en 1880 suggérait que l’expérience subjective du plaisir et de la douleur avait évoluée pour aider les animaux à choisir leurs habitats et les conditions de vie qui leur convenaient. Mais toute la question est de savoir si l’expérience induit simplement une réponse propre d’un individu, face à un stimulus extérieur, avec un degré de variation limité aux besoins physiologiques de son espèce (alimentation, conditions environnementales, …) ou si les individus partagent leurs émotions c’est-à-dire conçoivent que leurs congénères peuvent ressentir les même émotions et donc se baser sur les émotions partagées pour réagir face à une situation, à un choix. En reformulant, l’empathie est-elle présente dans les société animales ?

pixabay ©

J.E.C. Andriense et son équipe (Université de Vienne) ont voulu confirmer ou infirmer que les corbeaux, oiseaux connus pour leur grande intelligence et leur socialité, étaient capable de partager des émotions. « Pour pouvoir ressentir une émotion envers autrui, il faut d’abord se sentir comme les autres », argue T. Bugnyar, co-auteur.
En d’autres termes, il faut pouvoir s’identifier aux autres, aux émotions qu’ils témoignent dans une situation donnée, pour être en mesure de les comprendre et de partager cette émotion. Donc le but de l’étude était de savoir si les corbeaux faisaient preuve d’empathie.

Méthode et résultats

Pour leur recherche, ils se sont basés sur un paradigme de biais cognitif, certains corbeaux peuvent être optimistes, d’autres pessimistes. C’est ce que on appelle un biais de valence. Il est à noter qu’une émotion peut être caractérisée par deux modalités = intensité et valence (positive ou négative). On peut illustrer ce type de biais par le typique « voir le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide « . Les premiers sont optimistes, les seconds pessimistes .

Caractériser une émotion en fonction de son intensité et de sa valence

Ici pour déterminer la réaction type pour une émotion positive (optimiste) ou négative (pessimiste), les corbeaux ont été mis en contact avec deux boîtes, l’une contenant du fromage et l’autre étant vide, et appris leurs places respectives. Puis ils ont été placés en face d’une boîte ambiguë, c’est-à-dire inconnue, constituant un troisième choix dont ils ignoraient le contenu. Face à ce choix ambigu, les corbeaux présentant une réaction positive étaient considérés comme optimistes, les autres comme pessimistes. Nous avons donc nos comportements témoins qui pourront être comparés aux réactions manifestées lors des expériences suivantes (réaction négative = grattage de sol, impatience / réaction positive = tourne la tête et le corps en direction de la nourriture)

Déterminer les réactions témoins

L’expérimentation consistait à placer les corbeaux précédents en présence de deux types de nourritures, l’une appétissante, l’autre non, puis d’en retirer une. Les réactions observées quand le corbeau était laissé avec la nourriture non désirée correspondait bien à une émotion négative (grattage du sol avec ses pattes). Ce test se déroulait devant un oiseau observateur, qui ne pouvait voir que la réaction de son congénère et non la nourriture. Il n’avait accès qu’à l’information émotionnelle.

Lorsque ce corbeau observateur était à son tour placé devant une boîte dont il ne connaissait pas le contenu il présentait un biais de réponse : s’il avait vu une réaction négative chez l’autre oiseau, sa réaction était pessimiste, il supposait que la boîte contenait un aliment non désirable. Cependant le contraire n’a pas été démontré, c’est-à-dire une réaction optimiste lorsqu’il avait observé une réaction positive de son congénère. L’information négative est partagée et influence le comportement futur de celui qui la reçoit.

Conclusion

Cette étude a ainsi démontré, que comme chez les mammifères, dans le règne des oiseaux il y a transmission/partage des émotions, des informations émotionnelles, mais seulement de celles qui revêtent une valence négative, apparemment. Pour expliquer ce fait, les auteurs supposent que soit les réactions négatives sont plus faciles à provoquer et à observer, soit que les animaux sont plus sensibles aux informations négatives de leur environnement et les captent donc plus facilement. Ces résultats ouvrent de nouvelles pistes de recherche dans la compréhension de l’évolution de l’empathie à travers différents taxons, comprendre son implication dans l’évolution de l’intelligence sociale de différentes espèces, y compris l’espèce humaine.


J.E.C. Adriaense et alNegative emotional contagion and cognitive bias in common ravens (Corvus corax)Proceedings of the National Academy of Sciences. Published online May 20, 2019. doi:10.1073/pnas.1817066116