Pour attirer les pollinisateurs les fleurs jouent sur le parfum et les couleurs, permettant d’informer les insectes qu’elles sont de bonne qualité. Or une étude récente révèle qu’un autre facteur rentre en ligne de compte dans les choix des fleurs visitées, les microbes qu’elles abritent.
Abeille en pleine récolte sur des fleurs de basilic
©Wikimedia
Les microbes font partie intégrante des interactions entre les eucaryotes, permettant notamment d’envoyer des signaux (couleurs et odeurs) repoussant les parasites et prédateurs, ou alors permettent aux animaux de trouver des ressources alimentaires.
Au niveau des insectes pollinisateurs, le rôle des microbes dans le mutualisme n’a pas été très étudié, considérant que les signaux attirant les pollinisateurs sont produit par les fleurs (Raguso, 2008).
Les préférences des pollinisateurs se basent sur deux modalités, l’inné et l’apprentissage, mis en évidence et étudiés chez les abeilles généralistes. L’apprentissage permet aux insectes d’avoir une flexibilité et une adaptation rapide face aux conditions environnementales pouvant influer sur la qualité des fleurs, et donc pouvoir diriger leur collecte sur des fleurs de qualité satisfaisante.
Dans ce contexte, Russell et Ashman (2019) ont réalisé une étude permettant de mettre au jour le rôle des microbes dans les préférences des pollinisateurs, que ce soit pour l’inné ou l’apprentissage, s’appuyant sur les abeilles. Partant du constat que le micro biote floral évolue avec les visites des insectes (ces derniers butinant plusieurs fleurs lors d’une sortie, ils transportent les microbes d’une fleur à l’autre), les microbes pourraient alors informer ces butineurs quant à la disponibilité et la qualité du pollen.
Méthode
Le modèle d’étude fut donc les abeilles domestiques et pour les plantes, la violette perse, Exacum affine, qui présente l’avantage d’avoir une morphologie isolant les microbes, présents sur la corolle, du pollen, se trouvant dans des anthères à déhiscence poricide (qui s’ouvrent par des pores), visibles sur la planche dessinée ci après. Ils réalisèrent également des fleurs artificielles en papier sur le modèle de cette violette.
Violette perse, Exacum affine Anthères poricides de la violette
Les scientifiques isolèrent la communauté microbienne retrouvée chez les deux espèces, une communauté de microbes épiphytes, composée de levures et bactéries (communauté vivant de façon non parasitaire à la surface des plantes, feuilles, tiges, …).
Ils testèrent quatre points :
– est-ce que les abeilles peuvent discriminer les fleurs artificielles avec et sans microbe, les deux contenant la même quantité de pollen ?
– est-ce que les abeilles peuvent discriminer les fleurs fraîches en fonction de la présence supplémentaire ou non de microbes ?
– la présence de bactéries ou de souches de levures contribue-t-elle aux préférences innées des abeilles ?
– est-ce que les signaux chimiques de microbes peuvent diriger les préférences lors de l’apprentissage des abeilles ?
Pour ce faire ils préparèrent des fleurs artificielles avec et sans microbes, avec ou non du pollen, des fleurs naturelles dont la communauté bactérienne ou de levures différait, contenant du pollen ou non. Ils isolèrent la communauté microbienne (surnageant) pour déterminer les signaux chimiques influençant les abeilles.
Schéma des expériences effectuées dans l’étude de Russell et Ashman (2019)
Résultats et discussion
Les résultats démontrèrent que les abeilles naïves (sans expérience pour ces fleurs) apprennent à discriminer nettement les fleurs avec et sans microbes, elles préfèrent de façon innée les fleurs sans bactérie, en d’autres termes des fleurs moins visitées que d’autres. En effet comme les abeilles ne se “lavent “pas entre chaque fleur lors d’un vol, elles emmènent et déposent des bactéries supplémentaires sur les fleurs qu’elles visitent. Ainsi les abeilles préfèrent des fleurs avec moins de bactéries différentes semblant refléter moins de passages sur cette fleur. Cependant la présence de levures n’influence pas les choix des abeilles.
Les préférences de récolte semblent guidées par la chimie des microbes : avant même de toucher ou de visiter une fleur, les abeilles déterminent sa qualité via l’odeur dégagée par les microbes présents sur les corolles.
En conclusion , le micro biote des fleurs influe directement sur la communication entre les pollinisateurs et les plantes, de concert avec les signaux floraux tels que les couleurs ou les odeurs. C’est un médiateur dans les préférences innées et apprises des abeilles, ici, mais des pollinisateurs en général, et pourrait être la clé du mutualisme entre plantes et pollinisateurs. En effet, le fait que les pollinisateurs semblent être repoussés par les bactéries se trouvant sur les corolles des fleurs, laisserait envisager que les plantes puissent développer des traits antibactériens afin d’attirer plus de butineurs.
Cette étude ouvre le champs à d’autres recherches concernant le mutualisme général chez les eucaryotes en prenant en compte le rôle des communautés microbiennes associées.
A.L. Russell and T-L Ashman. 2019. Associative learning of flowers by generalist bumble bees can be mediated by microbes on the petals. Behavioral Ecology (in press), XX(XX), 1–10. doi:10.1093/beheco/arz011
Raguso RA. 2008. Wake up and smell the roses: the ecology and evolution of floral scent. Annu Rev Ecol Evol Syst. 39:549–569. DOI: 10.1146/annurev.ecolsys.38.091206.095601