Hydrocarbures et impact sur les regroupements de poissons…

Publicités

A l’heure où le dernier rapport du GIEC sort et que les lanceurs d’alertes comme Greta Thunberg continuent d’interpeller les décisionnaires des grandes nations, une étude expose une nouvelle conséquence dramatique de la pollution marine sur nos poissons.

Les hydrocarbures versés sans ménagement et sans conscience dans nos océans perturbent d’une façon inquiétante le comportement des espèces qui s’y trouvent, notamment les comportements sociaux et ceux touchant à l’apprentissage et à la reproduction, comme le soulignaient déjà les études de G.R. Scott et K.A. Sloman (2004) et A.J.W. Ward et al. (2008).

En effet, nombre d’espèces vivent en groupe toute ou une partie de leur vie, afin d’augmenter leur chance de survie, de se protéger des prédateurs et d’accroître l’efficacité de leur recherche de nourriture.

L’équipe de T. Armstrong et al. (2019) s’est penchée sur les effets délétères d’une exposition aux hydrocarbures sur l’espèce Tambour brésilien (Micropogonias undulatus), poisson du Golfe du Mexique, occupant une aire de répartition particulièrement touchée par ce type de pollution.

En comparant les comportements d’un groupe de poissons témoin non exposé aux hydrocarbures, à ceux d’un groupe où tous les poissons ont été exposés et à un groupe mixte où seul un individu a été exposé, ils ont mis en évidence les variations comportementales liées à cette pollution.

Constitution des groupes de poissons

Les résultats sont sans appel. Les expositions aux hydrocarbures dans leur environnement, rend la cohésion des groupes de poissons très instable, en augmentant les distances entre les individus, que ce soit pour le groupe où tous les poissons ont été contaminés ou pour le mixte.

Il est aisé de concevoir en quoi la perte de cohésion d’un groupe de poissons peut influer sur sa viabilité. En effet des mouvements coordonnés et une rapidité d’exécution est un gage de sécurité. Quand une partie du groupe perçoit un danger c’est l’ensemble qui acquiert un comportement de défense, pouvant rendre confus le prédateur et permettre la fuite.
De plus l’apprentissage se fait au sien des groupes. Le déficit de cohésion engendre une mauvaise transmission des connaissances et donc une acquisition moindre des comportements typiques. Les générations futures risquent d’être plus vulnérables face aux prédateurs, mais aussi de présenter un taux de reproduction plus faible.

Cette perte de coordination rend également les migrations difficiles, les poissons ne se dirigent plus de façon homogène, la communication entre les individus étant lésée. Le groupe est fragilisé, ajouté à cela la réduction de l’efficacité de la recherche de nourriture.

Un autre paramètre modifié par l’exposition aux hydrocarbures serait la vitesse d’exécution des poissons, dans leurs mouvements et leur coordination de groupe. Leur rapidité de réponse vis-à-vis d’une situation serait ralentie et ce serait préjudiciable s’agissant de fuir un prédateur….

Enfin il est à noter que la constitution des groupes de poissons permet à ces-derniers de réduire leur coût énergétique lors de leur déplacement et recherche de nourriture. Les poissons profitent des tourbillons produits et du courant créé par la masse des individus pour se laisser porter et donc réduire la dépense énergétique. Si le groupe n’est plus soudé, ce gain d’énergie n’existe plus et la recherche de nourriture devint plus pressante. Or cette dernière est plus difficile du fait de cette perte de cohésion. La survie des individus au sien d’un groupe est donc grandement impactée.

L’étude soulève un manque de données sur les effets délétères d’une exposition à long terme de quelques individus dans un groupe entier, notamment si cette exposition touche des individus clés (leader, dont le comportement influence l’ensemble du groupe). Néanmoins, les premiers résultats laissent envisager que le comportement anormal d’un leader rend la cohésion du groupe instable, mais s’il s’agit d’un individu lambda, les effets se feraient moins ressentir. Le comportement du leader sain l’emporterait sur le comportement perturbé par les hydrocarbures d’un poisson suiveur.

Les effets des hydrocarbures tendraient à s’estomper avec le temps au sein des groupes exposés seulement s’il n’y a pas de nouvelles exposition…

La pollution aux hydrocarbures a donc des conséquences sur la plasticité comportementale au sein des groupes et des générations touchant des phénomènes écologiques importants tels que la migration des poissons, la reproduction, la survie des jeunes utilisant le regroupement comme stratégie anti-prédatrice et source de savoirs. Il en va de même pour les autres facteurs de stress anthropogéniques (plastiques, bruit, métaux lourd, …).

En conclusion, cette étude souligne le besoin d’étudier plus profondément les conséquences de l’exposition aux polluants sur les comportements sociaux des poissons et ceci sur le long terme. La sensibilité individuelle aux hydrocarbures et les pressions de sélection associées sont des piliers importants à considérer, et le temps d’exposition est un facteur essentiel. En d’autres termes nous devons essayer d’ appréhender les potentielles trajectoires évolutives des espèces sociales si les activités humaines continuent à souiller sans ménagement les océans.

T. Armstrong, A.J. Khursigara, S.S. Killen, H. Fearnley, K.J. Parsons and A.J. Esbaugh. Oil exposure alters social group cohesion in fish. Scientific Reports volume 9, Article number: 13520. https://doi.org/10.1038/s41598-019-49994-1 (2019)

Scott, G. R. & Sloman, K. A. The effects of environmental pollutants on complex fish behaviour: integrating behavioural and physiological indicators of toxicity. Aquatic Toxicology 68, 369–392, https://doi.org/10.1016/j.aquatox.2004.03.016 (2004).

Ward, A. J. W., Duff, A. J., Horsfall, J. S. & Currie, S. Scents and scents-ability: pollution disrupts chemical social recognition and shoaling in fish. Proceedings of the Royal Society B 274, 101–105, https://doi.org/10.1098/rspb.2007.1283 (2008).