Voici un résumé des quelques 1000 pages du dernier rapport du GIEC, dévoilé le 25 septembre 2019, à Monaco. Il servira de base aux décisions des dirigeants mondiaux qui se réuniront notamment à la COP25 en décembre au Chili.
Encore un rapport me direz-vous ?
Petit récapitulatif : le rapport d’évaluation principal du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sort tous les six ans et est rythmé par des rapports spéciaux plus spécifiques. Trois rapports spéciaux ont donc été publiés au cours de ce sixième cycle d’évaluation : « Réchauffement climatique à 1,5°C », « Changement climatique et utilisation des sols », et enfin celui qui nous intéresse ici « Océan & cryosphère dans un climat en évolution ».
« En comprenant les causes de ces changements et les impacts qui en résultent, et en évaluant les options qui s’offrent à nous, nous pouvons renforcer notre capacité à nous adapter » a déclaré Ko Barrett, vice-présidente du GIEC. « Le Rapport spécial sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique nous apporte les connaissances sur lesquelles [les] décisions peuvent s’appuyer ».
Le rapport compile les preuves des conséquences du changement climatique sur les océans et la cryosphère. Il souligne l’urgence de réduire ou du moins de maintenir le réchauffement climatique au seuil actuel, déjà +1°C depuis les âges préindustriels.
Tous les êtres vivants et les populations humaines dépendent directement ou indirectement des océans et de la cryosphère. Les océans recouvrent près de 71% de la surface de la Terre et contiennent 97% de la totalité de l’eau sur Terre. La cryosphère correspond aux surfaces gelées.
Changements physiques observés
Au cours des dernières décennies le réchauffement global a conduit à une réduction drastique de la cryosphère avec une perte de matière en glace des calottes glaciaires et des glaciers, une diminution de la couverture neigeuse et ains que de l’étendue et l’épaisseur de la glace en mer Arctique et l’augmentation de la température du pergélisol (sol gelé en permanence et absolument imperméable des régions arctiques).
Flickr (c)
Il est pratiquement certain que l’océan mondial s’est réchauffé sans relâche depuis 1970 et a absorbé plus de 90% de la chaleur excédentaire du système climatique. D’ici à 2100, il absorbera 2 à 4 fois plus de chaleur que pendant la période allant de 1970 à l’heure actuelle si le réchauffement planétaire est limité à 2 °C, et jusqu’à 5 à 7 fois plus, si les émissions sont plus élevées. Depuis 1993, le réchauffement des océans a plus que doublé. La fréquence des vagues de chaleur dans la mer a très probablement doublé depuis 1982 et son intensité augmente. En absorbant davantage de CO2, les océans ont subi une acidification de surface croissante. Une perte d’oxygène s’est produite depuis la surface jusqu’à 1000 m. En effet le réchauffement de l’océan réduit le brassage entre les différentes couches d’eau et, en conséquence, diminue l’approvisionnement en oxygène et en nutriments nécessaire à la faune et à la flore marines.
Conséquences observées sur les écosystèmes
La cryosphère et les changements hydrologiques associés ont affecté les espèces et les écosystèmes terrestres et d’eau douce des hautes montagnes et des régions polaires, en raison de l’apparition de terres précédemment recouvertes de glace, de modifications de la couverture neigeuse et du dégel du pergélisol. Ces changements ont contribué à modifier les activités saisonnières, l’abondance et la répartition d’espèces végétales et animales d’importance écologique, culturelle et économique, les perturbations écologiques et le fonctionnement des écosystèmes.
Depuis 1950, de nombreuses espèces marines ont subi des modifications de leur étendue géographique et de leurs activités saisonnières en raison du réchauffement des océans, et des changements biogéochimiques, tels que la perte en oxygène, dans leurs habitats. Cela a entraîné des changements dans la composition des espèces, l’abondance et la production de biomasse des écosystèmes, de l’équateur aux pôles. Les interactions modifiées entre les espèces ont entraîné des effets en cascade sur la structure et le fonctionnement de l’écosystème. Dans certains écosystèmes marins, les espèces sont affectées à la fois par les effets de la pêche et par les changements climatiques.
Impact du changement climatique sur les populations et les services écosystémiques
Depuis le milieu du XXe siècle, la cryosphère réduite dans les régions arctiques et de haute montagne a eu des effets principalement négatifs sur la sécurité alimentaire, les ressources en eau, la qualité de l’eau, les moyens de subsistance, la santé et le bien-être, les infrastructures, les transports, le tourisme et les loisirs, ainsi que la culture des sociétés humaines, en particulier des peuples autochtones.
Les changements océaniques ont eu un impact sur les écosystèmes marins et les services écosystémiques, avec des résultats régionaux variés, remettant en cause leur gouvernance. Les impacts sur les services écosystémiques ont des conséquences négatives sur la santé et le bien-être, ainsi que sur les peuples autochtones et les communautés locales tributaires de la pêche.
Les communautés côtières sont exposées à de multiples risques liés au climat, notamment les cyclones tropicaux, des niveaux de mer extrêmes et les inondations. L’élévation du niveau de la mer augmentera la fréquence des valeurs extrêmes de ce paramètre enregistrées, par exemple, à marée haute et pendant les grandes tempêtes. Quel que soit le réchauffement supplémentaire, des événements qui se produisaient précédemment une fois par siècle se produiront chaque année d’ici 2050 dans de nombreuses régions, augmentant les risques auxquels sont confrontées de nombreuses villes côtières et petites îles de faible élévation. Une diversité de réponses a été mise en œuvre dans le monde entier, principalement après des événements extrêmes, mais également en prévision de l’élévation future du niveau de la mer. ces réponses dépendent grandement des moyens financiers mis à disposition.
Projections des changements physiques
La perte de masse des glaciers à l’échelle mondiale, le dégel du pergélisol, ainsi que la diminution de la couverture neigeuse et de l’étendue de la glace en mer Arctique devraient se poursuivre à court terme (2031-2050) en raison de la hausse de la température de l’air en surface.
Le pergélisol arctique et boréal renferme de grandes quantités de carbone organique, presque deux fois le carbone atmosphérique, et risque d’entraîner, s’il dégèle, une hausse considérable des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. On ignore si le dégel actuel du pergélisol de l’Arctique libère déjà des quantités nettes de dioxyde de carbone ou de méthane. À l’avenir, l’accroissement de la couverture végétale peut augmenter le stockage de carbone dans le sol et compenser le carbone libéré dans l’atmosphère par la fonte du pergélisol, mais ni à grande échelle ni à long terme.
Les couches de glace du Groenland et de l’Antarctique devraient perdre de la masse à un rythme croissant tout au long du 21e siècle et au-delà. Les taux et les ampleurs de ces changements cryosphériques devraient encore augmenter dans la seconde moitié du 21e siècle dans le cadre d’un scénario d’émissions de gaz à effet de serre élevées.
Au cours du XXIe siècle, les océans devraient connaître une transition vers des conditions sans précédent : hausse des températures (quasi certaine), stratification accrue de la haute mer (très probable), acidification supplémentaire (quasi certaine), diminution de la teneur en oxygène et modification de la production primaire nette. Les vagues de chaleur et les événements extrêmes El Niño et La Niña devraient devenir plus fréquents. La circulation de renversement méridional dans l’Atlantique (AMOC = système de courants océaniques dans l’océan Atlantique nord, transportant la chaleur des tropiques vers les hautes latitudes) devrait s’affaiblir.
AMOC
jpl.nasa.gov
Le niveau de la mer continue de monter à un rythme croissant. Ceci pourrait donc avoir de graves conséquences dans de nombreux endroits en fonction de l’exposition. L’élévation du niveau de la mer devrait se poursuivre au-delà de 2100 dans tous les scénarios de RCP. Pour un scénario d’émissions élevées (RCP8.5), l’élévation du niveau de la mer devrait dépasser plusieurs centimètres par an, ce qui se traduirait par une élévation de plusieurs mètres, tandis que pour RCP2.6 (émissions faibles), l’élévation du niveau de la mer devrait être limitée à environ 1 m en 2300.
«Au cours des dernières décennies, l’élévation du niveau de la mer s’est accélérée en raison de l’augmentation des apports d’eau provenant des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, ainsi que de la contribution des eaux de fonte des glaciers et de l’expansion des eaux marines qui se réchauffent» a indiqué Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du Groupe de travail I du GIEC.
Projections des risques pour les écosystèmes
Les futurs changements de la cryosphère terrestre continueront d’altérer les écosystèmes terrestres et d’eau douce dans les régions de haute montagne et les régions polaires, entraînant des changements majeurs dans la répartition des espèces, entraînant des modifications de la structure et du fonctionnement de l’écosystème, ainsi qu’une perte de biodiversité unique. Les incendies de forêt devraient augmenter considérablement pendant le reste du siècle dans la plupart des régions de toundra et boréales, ainsi que dans certaines régions de montagne.
Paysage de toundra
Wikimedia (c)
Une réduction de la biomasse mondiale des communautés d’animaux marins, de leur production et de leur potentiel de capture, ainsi qu’un changement dans la composition des espèces sont projetés au XXIe siècle dans les écosystèmes océaniques, du sol au plancher océanique profond, selon tous les scénarios d’émission. Le taux et l’ampleur du déclin devraient être les plus élevés sous les tropiques, tandis que les impacts restent diversifiés dans les régions polaires et augmentent pour les scénarios d’émissions élevées.
Les écosystèmes seraient plus aptes à répondre à ces changements sous un régime d’émissions faibles, ceci varie également avec le degré de fragilité des écosystèmes considérés. En effet si l’n prend les herbiers marins et les forêts de varech, des risques élevés sont projetés si le réchauffement de la planète dépasse 2 ° C au-dessus des températures préindustrielles. Cependant les coraux d’eaux chaudes restent menacés même si le réchauffement planétaire est limité à 1,5 ° C.
Risques estimés pour les personnes et les services écosystémiques
Les futurs changements de la cryosphère terrestre devraient affecter les ressources en eau et leurs utilisations, telles que l’énergie hydroélectrique, l’agriculture irriguée dans et en aval des zones de haute montagne, ainsi que les moyens de subsistance dans l’Arctique. Les inondations, avalanches, glissements de terrain et déstabilisation des sols devraient augmenter les risques pour les infrastructures, les biens culturels, le tourisme et les loisirs.
Les changements futurs dans la répartition et abondance des poissons devraient affecter les revenus, les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire des communautés dépendantes des ressources marines. La perte et la dégradation à long terme des écosystèmes marins compromettent le rôle de l’océan dans les domaines culturel, récréatif et culturel et par voie de conséquence les valeurs intrinsèques importantes pour l’identité humaine et le bien-être.
Mise en oeuvre des réponses aux changements de l’océan et de la cryosphère
Les effets des changements climatiques dans l’océan et la cryosphère remettent en cause les efforts de gouvernance actuels pour élaborer et mettre en œuvre des réponses d’adaptation allant de l’échelle locale à l’échelle mondiale et, dans certains cas, les pousser à la limite. Les personnes les plus exposées et les plus vulnérables sont souvent celles qui ont la plus faible capacité de réaction
Les services et options de grande portée fournis par les écosystèmes océaniques et liés à la cryosphère peuvent être soutenus par protection, restauration, gestion préventive fondée sur les écosystèmes, l’utilisation des ressources renouvelables et la réduction des pollutions et autres facteurs de stress. Cependant, des contraintes écologiques, financières, institutionnelles et de gouvernance pour de telles actions existent dans de nombreux cas.
Les communautés côtières sont confrontées à des choix difficiles pour élaborer des réponses spécifiques au contexte. Ce sont des réponses intégrées qui doivent être prises, équilibrant les coûts, les avantages et les compromis des options disponibles et ajustables avec le temps et l’évolution des écosystèmes et du littoral.
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Conditions nécessaires
La résilience au changement climatique et le développement durable dépendent essentiellement d’actions urgentes et ambitieuses, des réductions associées à des actions d’adaptation coordonnées, soutenues. Les moyens permettant de mettre en œuvre de telles réponses incluent l’intensification de la coopération et de la coordination entre les autorités gouvernementales à toutes les échelles. Éducation et savoir-faire climatique, suivi et prévision, utilisation de toutes les sources de connaissances disponibles, partage de données, d’informations et la connaissance, la finance, la lutte contre la vulnérabilité sociale et l’équité, ainsi que le soutien institutionnel sont également essentiels.
Selon le rapport, en réduisant fortement les émissions de gaz à effet de serre, en protégeant les écosystèmes et en les remettant en état, et en gérant soigneusement l’utilisation des ressources naturelles marines, il serait possible de préserver l’océan et la cryosphère, qui sont des sources de solutions sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour s’adapter aux changements futurs, limiter les risques pour les moyens d’existence et tirer parti de nombreux bénéfices sociétaux supplémentaires.