Non je ne vous parle pas d’un nouveau style de musique prônant le 100% nature, mais bien de la musique créée par la nature dans son ensemble, les animaux, les récifs coralliens, les rivières, la forêt tropicale ou la forêt de sapins, … Il s’agit ici de biophonie.
Mais que nous apporte-t-elle en termes de savoirs des écosystèmes et de leurs états écologiques ?
Paysage sonore, bioacoustique, biophonie … de quoi parlons-nous ?
Le terme de paysage sonore a été inventé par le compositeur et écologiste canadien, R. Murray Schafer. Il s’agit de la combinaison de sons qui se forme ou qui apparaît dans un environnement immersif. Cela couvre aussi bien un environnement sonore naturel comme le son produit par les animaux ou le vent dans les feuilles, mais aussi les sons produits par l’Homme par une mélodie ou les sons produits lors des situations quotidiennes à l’instar d’une conversation ou des bruits industriels.
La bioacoustique est une branche de l’éthologie qui s’intéresse aux comportements des animaux en réponse aux sons de leur environnement, que ce soit au niveau communication, écholocation, ou pollution sonore.
Elle est utilisée pour surveiller l’état de certains écosystèmes.
Elle est utile également pour comptabiliser des populations difficiles d’accès comme pour les cétacés avec les chants de baleines, chaque individu possédant une signature vocale propre.
En France, la bioacoustique est utilisée pour le suivi des loups via leur communication, ou pour estimer la population de faisans (cf. encadré vert), par exemple.
Chant des baleines
Wikimedia (c)
La FDC du Loir-et-Cher et la FRC du Centre ont sollicité le CNERA Petite faune sédentaire de plaine de l’ONCFS et l’équipe Communications acoustiques du CNRS de l’Université Paris-Sud pour tester la possibilité de compter les faisans présents sur un site de manière acoustique et semi-automatique. En effet une étude sur 21 faisans a révélée que la durée de deux notes et la valeur de la fréquence fondamentale sont des paramètres très stéréotypés qui constituent une signature individuelle. Une fois enregistrées et calibrées, les signatures peuvent donc être identifiées de façon semi automatique. S. Sèbe, F., Arzel, C., Aubin, T., Baert, S., Godard, A., Mayot, P., Pindon, G., Reitz, R. & Bro, E. 2011. Individual vocal signature as a tool for monitoring the Ring-Necked Pheasant 6th Ecology and Behavior Meeting. 12-16 April 2010, Tours, France
L’animal transmet vocalement des bio-indicateurs sur son état physiologique comme son sexe, son âge, son poids, son état émotionnel, son état parasitaire ou même son succès reproducteur.
Deux études en 2001 et 2003, montrent une corrélation réelle entre la condition physique des cerfs et les caractéristiques du brame. Suivant la fréquence des formants les plus graves, obtenus lorsque le larynx est le plus rentré vers le sternum lors du brame, ils peuvent déterminer entre autre l’âge, le poids et le succès reproducteur du cerf. S. Reby, D. & McComb, K. 2003. Anatomical constraints generate honesty: acoustic cues to age and weight in the roars of red deer stags. Animal Behaviour 65: 519-530.// S. Fitch, W.T. & Reby, D. 2001. The descended larynx is not uniquely human. Proceedings of the Royal Society, London, 268: 1669-1675.
La biophonie ou la zoophonie sont les termes génériques pour parler des sons émis dans la nature par ce qui la compose en termes d’espèces animales pour la zoophonie, ou par toutes ces composantes comme le vent, la pluie, les rivières, la faune et la flore pour la biophonie. On peut également trouver le terme d’hydrophonie ou hydro-acoustique pour les sons sous marins. Il y a aussi l’anthropophonie résultant de tous les sons produits par l’homme et ses activités.
Nouvelle étude et concept de niche acoustique
Une recherche postulant que le changement climatique modifie la biophonie de la Terre est publiée par une équipe de chercheurs de l’Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité du MNHN de Paris.
Comme nous l’avons vu ci-dessus, le son est extrêmement important dans le comportement animal que ce soit pour la communication, la recherche de partenaires, … Tous les milieux naturels à l’image des rivières, océans, forêts et déserts, sont remplis de vocalisations animales et de sons géologiques, créant un véritable tissu sonore d’un environnement. L’équipe distingue la biophonie comprenant tous les sons biotiques, et la géophonie regroupant tous les sons abiotiques, comme la pluie, le vent, …
Les conditions climatiques jouent un rôle prépondérant dans la productions des sons et donc dans le comportement animal et le fonctionnement d’un écosystème. Il est bien connu que les amphibiens, les poissons ou les arthropodes régulent leur vocalisation en fonction de la température ambiante. Nous connaissons également la fameuse histoire de la grenouille qui sort de l’eau quand le temps change….
Le changement climatique engendre de très grandes perturbations pour le monde vivant.
La phénologie acoustique des espèces a souvent une temporalité saisonnière et est de très grande importance pour la survie de l’espèce. On comprend alors nettement que les effets du dérèglement climatique va potentiellement engendré des décalages dans la production de certaines vocalisations animales et les sons abiotiques.
Inversement un changement de comportement ou de distribution d’espèces, du fait du changement climatique, va modifier les paysages sonores de certains milieux, impactant alors les espèces autochtones.
Diagramme des causes de perturbations
production personnelle
Il est également ressorti de l’étude que le complexité acoustique de certains milieux va avoir tendance à s’homogénéiser par la distribution différentes des espèces. On va donc perdre une diversité acoustiques nécessaire à un écosystème. Une baisse de cette diversité va nous renseigner sur une baisse significative de la diversité spécifique d’un milieu et donc de son état écologique.
Apparaît alors le concept de niche acoustique, dérivé du concept de niche écologique.
On défini une niche acoustique à un moment donné comme la place acoustique que chaque espèce occupe sans qu’il n’y ait d’interférence entre elles. En d’autres termes, elles forment un paysage sonore défini et produit par une composition unique en espèces. Il s’agit d’une véritable bande son du fonctionnement d’un écosystème.
Exemple de relevé de sons dans un milieu donné
National Park Service (c)
Pour la géophonie, le principal impact vient des événements climatiques extrêmes de plus en plus répétitifs, du fait du changement climatique globale.
Enfin pour les humains, le changement des paysages sonores peut engendrer un grand stress et de l’anxiété. Les sons de la nature ont toujours été un refuge et une source de bien-être, mais aussi un important facteur en terme d’économie locale et tourisme vert.
Ce mal-être est le revers de la médaille de nos activités anthropogéniques, nous modifions de manière significative la musique de la Terre.
Il existe bien évidemment des solutions pour réduire et limiter la production de sons néfastes aux écosystèmes. La valorisation des sons naturels, des sons des milieux naturels et des espèces qui les peuplent est un levier non négligeable dans la sensibilisation du grand public pour la protection de la Nature.
Conclusion
Ainsi la biophonie et la géophonie, domaines d’étude relativement récents sont des moyens supplémentaires à la connaissance de notre monde mais aussi un moyen de juger de l’altération de cette nature et de la biodiversité, imputables à nos activités.
Préserver les niches écologiques est aussi important que préserver les niches et paysages acoustiques des écosystèmes. Un enjeu qui mérite la sensibilisation du grand public mais aussi des industriels et impliquant une réelle réflexion et un changement profond de nos modes de vie …
Jérôme Sueur, Bernie Krause, Almo Farina. Climate change is breaking Earth’s beat. Trends in Ecology and Evolution, Elsevier, 2019, ff10.1016/j.tree.2019.07.014ff. ffmnhn-02278485f