Gènes et changement climatique dans l’océan…

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Aucune espèce n’est épargnée par le changement climatique induit par l’Homme. Elles doivent toutes s’adapter pour survivre au changement qui s’est enclenché. Le krill, ce petit être, n’est pas en reste : lui, pour s’adapter, modifie l’expression même de ces gènes !


Le krill de l’Antarctique a évolué pour s’adapter aux conditions extrêmes de l’Océan austral, des variations extrêmes des photopériodes, auxquelles il est fortement dépendant. Ce petit organisme est d’une importance capitale car il est la charnière entre les producteurs primaires et les plus hauts maillons du réseau trophique. Il a même été proposé comme modèle d’étude pour comprendre les effets du changement climatique sur l’écosystème de ces océans du Sud.
Cependant très peu d’études se sont penchées sur le mécanisme sous-jacent de ces variations d’expressions génétiques. C’est pour combler ces lacunes que l’étude de Horing F. et al. a été réalisée. Le but était d’identifier les gènes régulateurs dans le cycle de vie saisonnier du krill.


Modèle d’étude et méthode

Ce que nous savons déjà sur les stratégies du krill pour passer la mauvaise saison : une réserve de lipides plus importante lors de l’été, une réduction de l’activité métabolique et de nourrissage et de croissance pendant l’hiver, ainsi qu’une régression sexuelle. Ces stratégies varient avec les latitudes.
C’est en 2012 (Seear et al., 2012) que les premières données concernant les gènes régulant la digestion, alimentation, immunité, activité motrice et vitellogenèse sont publiées. Il semblerait que l’activité des gènes soit plus forte en été qu’en hiver, variant là aussi avec les latitudes.
Le cycle saisonnier du krill antarctique est influencé par différents facteurs environnementaux tels que la lumière, la disponibilité des aliments et / ou la température.

Petit encart sur l’acclimatation et les horloges internes.
Toutes les espèces ont une limite dans la tolérance des changements environnementaux, limite définie par les caractéristiques mêmes de l’espèce, c’est à dire sa capacité d’acclimatation. Cette dernière implique des “changements physiologiques lents qui ont de profonds effets sur les processus homéostatiques et motivationnels de l’animal”.
“Les rythmes circadiens permettent aux animaux de s’adapter au cycle jour-nuit de façon anticipative et de développer des routines quotidiennes qui tirent le meilleur parti des opportunités rencontrées.” Ils s’acclimatent aux conditions environnementales changeantes, à l’image de notre krill de l’Antarctique.
Chapitre 16. Physiologie et comportement dans des environnements changeants. Dans : D. McFarland, Le comportement animal: Psychobiologie, éthologie et évolution (2009) (pp. 313-336). Louvain-la-Neuve, Belgique: De Boeck Supérieur.

Les échantillons proviennent de trois régions de l’océan austral à différentes latitudes: Géorgie du Sud (54 ° S), Orcades du Sud / détroit de Bransfield (60 ° S – 63 ° S) et la mer de Lazarev (62 ° S – 66 ° S).
Une approche RNA-seq est utilisée pour étudier les différences d’expression génétique saisonnières (hiver et été) et entre les régions.


Résultats et discussion

Les analyses sur les gènes ont démontrées que 44, 2% des différences d’expression génétiques sont corrélées aux saisons et non aux régions.
Cependant ces différences à l’intérieur des régions montrent une adaptation du krill à ses conditions de vie.
Au niveau de la Géorgie du Sud, la différence d’expression est la plus réduite (c’est-à-dire une activité des gènes sensiblement équivalente en été et en hiver), sûrement en raison des conditions saisonnières plus douces des basses latitudes de cette région, avec un régime d’éclairage et une disponibilité alimentaire moins extrêmes entre l’été et l’hiver.
Les gènes impliqués dans le développement de la cuticule, le métabolisme des lipides, le transport des lipides et la reproduction semblent être exprimés différentiellement entre l’été et l’hiver uniquement dans le krill échantillonné sur les deux sites de haute latitude, la région des Orcades du Sud / du détroit de Bransfield et de la mer de Lazarev. Ces données suggèrent un état de repos plus marqué en hiver, avec une réduction de la mue et des processus liés aux cycles de reproduction, contrairement au krill vivant à des latitudes plus basses.

Quels sont les facteurs de l’environnement qui provoque ces différences dans l’expression des gènes entre l’hiver et l’été mais aussi entre les régions ?

La température de l’eau ? Étrangement la plus grande différence de température entre l’hiver et l’été pour la température de l’eau se retrouve dans les mers de Géorgie du Sud (de 0,8°C à 2,3°C) où la différence génétique est la moins marquée.
Alors que dans des eaux aux températures plus stables (de -1,8°C à -0,05°C), la différence d’expression génétique est fortement marquée. Ce n’est donc pas la température de l’eau qui puisse expliquer les différences observées entre régions et entre saisons.

La disponibilité en nourriture ? La nourriture influence outre le krill mais aussi l’ensemble de l’écosystème austral. Dans les régions de basses latitudes, la nourriture semble stable tout au long de l’année. Mais au niveau des plus hautes latitudes la nourriture n’est pas aussi accessible, il y a une période “creuse”, ce qui expliquerait alors le processus de ralentissement du métabolisme du krill, pour pallier à ce manque de nourriture, ainsi que cette différence d’expression génétique.

La longueur des jours (photopériode) ? Cette dernière joue un rôle primordial dans le contrôle du comportement et du cycle de vie du krill antarctique, aux différentes latitudes de l’océan austral. Des expériences simulant des photopériodes type des latitudes très hautes (66°S) induit un processus de stockage de lipides pour passer l’hiver comme il avait été démontré avec les différences d’expression génétique. Quand les photopériodes ne sont pas si extrêmes, comme dans la région de Géorgie du Sud, ces mécanismes pour passer l’hiver ne sont pas aussi marqués, d’où la différence régionale observée dans l’expression des gènes contrôlant le métabolisme.


Conclusion

L’analyse du krill sur trois régions aux latitudes différentes, et entre les saisons a permis de conclure que ce petit organisme, pour s’adapter aux climats changeants, modifie l’expression de certains de ses gènes, en augmentant ou réduisant leur expression, modifiant alors son métabolisme. Par exemple dans les régions les plus extrêmes (hautes latitudes), il entre dans une phase de repos hivernal avec un métabolisme de base très réduit. A l’inverse dans les régions moins extrêmes, l’expression des gènes régulant certains points du métabolisme n’est que très peu modifiée.

D’après l’étude, il semblerait que les deux principaux facteurs environnementaux déclenchant cette variation d’expression génétique seraient la photopériode et la disponibilité en nourriture. Cette dernière se faisant rare en hiver dans les hautes latitudes, le krill entre comme en hibernation, il a augmenté ses réserves lipidiques avant, et durant l’hiver ne se nourrit presque plus. Des indices d’un horloge interne plus archaïque (que celle régulée par le rythme circadien) et endogène ont été soulevés. Cette étude sert donc de base à d’autre recherches futures sur les mécanismes moléculaires des rythmes saisonniers du krill antarctique, enjeu majeur de la préservation des écosystèmes australs à l’heure du changement climatique.


F. Höring, A. Biscontin, L. Harms, G. Sales, C. S. Reiss, C. De Pittà, B. Meyer. Seasonal gene expression profiling of Antarctic krill in three different latitudinal regions. Marine Genomics, Available online 7 August 2020, 100806, In Press
https://doi.org/10.1016/j.margen.2020.100806