La période des fêtes de fin d’année vient de s’achever, et si vous avez des enfants, les rennes ont dû être un des éléments clés de Noël. Alors pourquoi ne pas faire un tour d’horizon de leur domestication. Une étude récente vient de se pencher sur le sujet au nord ouest de la Sibérie avec le peuple des Nénètses, réputé pour leur élevage de rennes et dont le mode de vie est menacé par le changement climatique.
La domestication a toujours été un facteur déterminant dans le développement des sociétés humaines. Dans la région arctique eurasienne, la domestication du renne a permis la colonisation durable, par les peuples autochtones, de ces contrées hostiles. En effet, le renne (Rangifer tarandus) s’est révélé être une précieuse aide pour la chasse et la pêche jusqu’au début du premier millénaire et décisif dans la transition pastorale la plus importante qu’a connu le continent. L’élevage de rennes a été extensif et à grande échelle.
Les transitions pastorales établissent de nouvelles relations entre les animaux et les hommes, les amenant à utiliser les habitats de manière différente, plus en adéquation avec les zones climatiques.
La Russie contient les 2/3 de la population mondiale de rennes domestique, le tiers restant se situant en région fenno-suédoise. On divise la population russe en quatre groupes selon les ethnies qui les ont domestiqués : Nenets, Even, Evenk et Chukot. Malgré des décennies de recherches dans de multiples disciplines, de nombreux problèmes clés liés aux origines, à la propagation et à l’intensification de la domestication des rennes restent mal compris.
Voyage aux rennes chez les Nénètses, Russie entre 1890 et 1900
Wikimedia (c)
Il y a plusieurs théories concernant l’émergence et la diffusion de cette domestication. Soit l’origine est monocentrique, c’est-à-dire provenant d’une seule localité (zone Baïkal) puis dispersion vers les autres régions, soit une origine polycentrique avec plusieurs zones de départ dont le Baïkal, le Saïan et la Fennoscandie. Enfin une idée serait également que cette domestication suive celle des chevaux. En d’autres termes les principes et matériels utilisés pour la domestication des cheveux (voir même des chiens) ont été transposés sur les rennes, rendant leur domestication plus aisée.
Ces rennes furent utilisés pour le transport notamment, mais aussi pour attirer d’autres rennes, il y a déjà deux millénaires avant notre ère mais rien n’indique, via les vestiges archéologiques, qu’il y ait eu une véritable dépendance avec ces animaux, comme c’est la cas avec le pastoralisme contemporain, comme chez les Nénètses.
Qu’est ce que le pastoralisme ?
Il se caractérise par l’utilisation d’un être vivant (ici du renne) dans toutes les sphères de le vie, allant de l’aide au transport, à la construction d’habitations, à la confection de vêtements et comme source principale de nourriture. Du XVIIe au XVIIIe siècle, les peuples domestiquant les rennes en Arctique se sont agrandis et développés très vite, grâce à ce pastoralisme. Etant totalement dépendant des ces animaux, la relation entre ces derniers et les hommes s’est inversée. Ils ont du prendre en compte les besoins des rennes pour continuer à survivre. Ils n’ont plus été sédentaires mais en mouvement, suivant les troupeaux immenses à travers la toundra. Ce fut la plus grande transition pastorale du continent.
Rennes domestiqués, Nénètse
Eric Baccega (c)
Pourquoi une transition pastorale ? En Scandinavie, par exemple, on suppose que cela est du à des chasses excessives des rennes sauvages donc une augmentation des rennes domestiqués. Une autre raison serait des fluctuations météorologiques favorables, ou dernière explication, des obligations fiscales et commerciales vis-à-vis des Etats qui entourent les peuples domestiquant les rennes. Ils ont donc besoin d’avoir un nombre important de rennes en leur possession. Est-ce de même pour notre sujet d’étude ?
Modèle d’étude et méthode
Les rennes étudiés dans cet article proviennent du peuple des Nénètses, habitant les régions polaires du nord-ouest de la Sibérie et du nord-est de l’Europe. L’économie traditionnelle de ce peuple est centrée sur l’élevage des rennes. Ils sont bien caractéristiques de la transition pastorale. En effet au départ ce n’était que de petits troupeaux par famille pour le transport et les leurres (attirer d’autres rennes sauvages). A partir du XVIIIe siècle, les troupeaux se sont considérablement agrandis et les familles se sont mises à suivre les grandes progressions des rennes. Aujourd’hui, les Nénètses sont le plus grand peuple éleveur de rennes indigènes du nord de la Russie, élevant au total environ 1 000 000 d’animaux.
Rangifer tarandus
Wikipedia (c)
L’étude s’est basée sur l’utilisation des marqueurs génétiques maternels dans des échantillons existants et vestiges archéologiques sur plusieurs sites connus comme étant des sites de passage du peuple Nénètse, ou des endroits rituels. La datation s’est faite par la méthode du carbone radioactif. La comparaison des séquences obtenues permettra d’éclaircir les points flous de l’histoire de la domestication des rennes.
En effet les anciennes analyses génétiques (matériel maternel aussi) ont révélé une origine polycentrique (plusieurs lignées maternelles identifiées) des rennes domestiques, chaque peuple à donc domestiqué son propre cheptel. Des échantillons anciens ont montré des changements génétiques important lors de la transition pastorale. L’étude va donc se concentrer sur ces changements afin de déterminer l’histoire de la domestication des rennes, savoir si une population sauvage locale particulière à été la base de l’émergence de la race de rennes domestiques contemporaine, malgré les différences observées bien avant la transition pastorale.
Résultats
Pour les régions occupées par les Nénètses, il y a deux clusters distincts : un qui regroupe le renne sauvage d’aujourd’hui et les échantillons archéologiques, le second comprend le renne domestique contemporain. Ceci tend donc à supporter l’idée que ces deux pools génétiques sont bien distincts pour ce qui est du renne sauvage et du renne domestique, ce dernier provient donc d’une autre origine (polycentrique…?)
Les sites archéologiques avec un pool génétique homogène sauvages présentent une grande modification ce qui correspond alors au début du pastoralisme À partir de sources historiques, Krupnik (1989) associe la pratique de la détention de grands troupeaux de rennes domestiques au début du XVIIIe siècle, en procédant à une «transition» vers le pastoralisme au milieu du XIXe siècle, et l’établissement d’un «révolution» économique à la fin du XIXe siècle.
L’étude a révélé qu’avant le XVe siècle, les peuples étaient totalement dépendant des rennes sauvages pour se nourrir (échantillons présentant les caractéristiques du pool génétique sauvage). Cependant la présence de quelques échantillons comparables aux rennes domestiques modernes, pourrait suggérer que, déjà à l’époque, les Nénètses utilisaient quelques rennes domestiqués pour attirer des rennes sauvages indispensable à leur survie. Le fait que nous ne retrouvions pas de grand nombre de ces rennes domestiques, pourrait s’expliquer aussi par le fait que les Nénètses préparait des offrandes avec les restes des rennes domestiques et ne se débarrassaient donc pas de la même manière des carcasses de rennes domestiques que des carcasses de rennes sauvages.
La population de rennes domestiqués par les Nénètses, selon les données génétiques, s’est établie à partir d’un petit nombre d’individus, importés d’une autre région (Euro-Béringie) lors des mouvements des familles pour suivre les rennes sauvages. Les caractéristiques du renne nénètse se sont donc développées à partir de ce pool génétique. La Béringie est un pont terrestre qui a émergé à plusieurs reprises au cours du Pléistocène (période très froide), reliant l’Alaska et la Sibérie orientale. C’était un vaste steppe herbeuse où de nombreuses espèces animales (loup, caribou, …) et végétales étaient présentent, les rennes sauvages parcourait ces zones. Maintenant l’isthme de Béring sépare les deux continents. C’est donc à cette époque du Pléistocène que le pool génétique du rennes domestique s’est formé. L’Holocène (période plus chaude) qui a suivi cette incorporation de rennes “euro-béringien” a donc isolé la population des rennes présente en Sibérie, à la base du cheptel des rennes domestiques des Nénètses.
Carnets d’histoire naturelle, Canada
Ce type de développement s’est aussi réalisé avec les autres peuples de l’Arctique, ce qui pourrait suggérer des facteurs généraux, tel un petit épisode glaciaire qui est très favorable aux rennes. Nous avons donc eu un grand développement des troupeaux et donc une mobilité humaine accrue et conduisant inexorablement à une chasse plus intense des rennes sauvages. Par conséquent, au tournant du XIXe siècle, le déclin de la population de rennes sauvages n’a pas précédé mais plutôt suivi l’augmentation des troupeaux domestiques. Selon ce scénario, le principal facteur facilitant la transition de la chasse au pastoralisme était le climat.
Le mécanisme qui expliquerait l’apparition de nouveau génome dans les cheptels, serait notamment la translocation de rennes d’autres régions d’élevage, suite à des effondrements de la population dus à des maladies ou des accident climatiques. C’est ce qui commence à se passer maintenant, le changement climatique met en péril l’économie des Nénètses, leur survie, leur mode de vie et la préservation de l’espèce des rennes.
L’homogénéisation du pool génétique de la race de rennes des Nénètses traduit les échanges d’amitiés entre les peuples et surtout la participation de l’Etat dans l’amélioration des races locales par l’importation d’autres rennes durant l’ère soviétique.
Conclusion
L’origine de la domestication des rennes est polycentrique, via l’importation d’animaux d’autres zones d’élevages suites à des accidents de populations sauvages mais aussi aux grands déplacement sur la zone Euro-Béringie. Pour les Nénètses, la transition pastorale a conduit à la formation d’une race de rennes domestiques distincts des autres, que l’on peut clairement voir dans les données génétiques mais pas encore précisément dater. Il faudrait un nombre plus important d’échantillons.
Bien que les résultats de l’étude puissent soutenir une ascendance sibérienne méridionale de la race de rennes Nénètses, qui pourrait être l’une des nombreuses zones à partir desquelles l’élevage de rennes s’est propagé vers le nord, il est nécessaire de disposer de plus de données avant de pouvoir spécifier le point d’origine de l’ascendance non indigène de cette race. L’utilisation d’autres marqueurs génétiques peut impliquer une histoire de domestication plus nuancée, car ce sont les rennes mâles qui sont prioritairement utilisés pour parcourir de longues distances et pour les reproduction contrôlés par l’Etat. Le mélanges des lignées mâles n’est pas observable avec les marqueurs génétiques (matériel maternel) de cette étude.
Pour conclure, la facteur général du pastoralisme et de la formation des races domestiques à travers les peuples de l’Arctique et notamment les Nénètses est le climat (on comprend pourquoi le Père Noël vit en Laponie ou au Pôle Nord selon les versions, en tout cas là où le climat semble favorable à la domestication des rennes ^^). Mais une fois que ce fait est établi, l’horizon s’assombrit vite compte tenu du changement climatique faisant dégeler le permafrost … Que vont devenir les peuples dépendants du froid et des rennes, que vont devenir les rennes ? Il est d’une urgence absolue de prendre conscience de ce réchauffement fulgurant et de le combattre tant qu’il est encore temps…
Røed KH, Kvie KS, Losey RJ, et al. Temporal and structural genetic variation in reindeer (Rangifer tarandus) associated with the pastoral transition in Northwestern Siberia. Ecol Evol. 2020;10:9060–9072.
https://doi.org/10.1002/ece3.6314