Des cerfs pressés en temps de réchauffement climatique

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Encore une conséquence du changement climatique. Nous en connaissons déjà l’influence sur l’éthologie des oiseaux, une nouvelle étude démontre l’impact sur les mammifères notamment les ongulés. Ils sont déjà en sursis par la restriction de leur aire de répartition du fait du réchauffement climatique, à l’image des Nénètses et de leurs troupeaux de rennes. Comment cette espèce s’adapte-t-elle à ces nouvelles conditions de vie ?


L’un des principaux facteurs de pérennité d’une espèce est la reproduction et surtout la survie des petits. La période de reproduction est donc un enjeu majeur, il faut qu’elle coïncide avec les meilleures conditions environnementales pour les petits mais aussi pour la femelle dont les réserves énergétiques sont mises à mal par la gestation puis les soins apportés aux juvéniles.
De prime abord nous considérons, pour des animaux se reproduisant de façon cyclée, que la longueur de la photopériode, c’est-à-dire la balance entre la durée du jour et de la nuit, déclenche le démarrage de la période de reproduction. Les facteurs comme la température ambiante, l’état nutritionnel et le comportement ne seraient que des modulateurs de ce premier facteur.

Chez les ongulés, comme chez tous les animaux où la saison des amours est saisonnière, le cycle de reproduction est déterminé génétiquement, l’accouplement est précisément chronométré de sorte que la parturition coïncide avec des schémas climatiques à long terme (plusieurs générations). Cette synchronisation prend en compte indirectement la qualité de la nourriture disponible en fonction de la période de l’année, influençant directement la survie des individus.

L’état de la population semble avoir un rôle dans cette synchronisation et plus particulièrement la capacité de charge du milieu au moment de la reproduction. (Petit point définition : la capacité de charge d’un milieu donné désigne le nombre d’animaux qu’un territoire donné peut tolérer sans que la ressource végétale ou le sol ne subissent de dégradation irrémédiable). Alors quand le changement climatique dérègle les conditions environnementales (donc indirectement la survie de tous les individus avec la disponibilité en nourriture) sur plusieurs saisons, qu’advient-il ?

Les animaux présentant un bonne plasticité (capacité à moduler un trait comportemental) au niveau de leur période d’accouplement en fonction des conditions climatiques changeantes sont capables, dans une certaine mesure, d’optimiser leur taux de recrutement (arrivée de nouveaux membres dans la population, du fait des naissances ici).
Si nous observons depuis deux décennies, chez les oiseaux, les poissons, les amphibiens par exemple, des décalages dans les périodes de reproduction, ils ne semblent pas assez forts pour pallier les conséquences du changement climatique en termes de réduction de survie des juvéniles et de succès reproducteur. Il est donc essentiel de comprendre le lien entre les stratégies de reproduction d’une espèce et son environnement pour estimer l’impact du réchauffement climatique sur le devenir de l’espèce (vulnérable, menacée, ou en voie d’extinction). Pour ce faire il faut comprendre comment les caractéristiques reproductives sont directement ou indirectement affectées par les changements climatiques.

Une autre point essentiel concerne la période de l’année sur laquelle les conditions climatiques ont le plus d’impact sur la reproduction. Une variation d’un facteur climatique donné peut induire des conséquences opposées en termes de reproduction en fonction de la période de l’année.
Exemple schématique
– Chaleur en été = harcèlement des insectes = mauvaises conditions physiques des rennes et donc mauvaise survie des juvéniles
– Chaleur au printemps = végétation abondante = bonnes conditions physiques des mères = bon lait pour les juvéniles


Modèle d’étude

Le renne (Rangifer tarandus) a une saison des amours qui commence mi septembre et s’étend sur un mois. La gestation est de 7 mois, ce qui fait qu’elle se déroule l’hiver pour un vêlage au printemps suivant. Toutes les naissances sont synchronisées dans un groupe.
Si les petits naissent trop tôt dans l’année, ils auront accès à un lait de mauvaise qualité car la mère serait en mauvaise condition physique (nourriture peu abondante). Si les petits naissent trop tard, il n’auront pas le temps (l’hiver approchant) de profiter de la nourriture de bonne qualité et aurait un défaut de croissance, ils risquent d’être beaucoup plus victimes de prédation.
Le renne est un candidat parfait pour cette étude sur l’impact des conditions climatiques sur la reproduction car il est un des deux seuls ongulés à vivre dans un milieu imprévisible et austère de l’Arctique. De plus sa reproduction dure de 4 à 5 semaines, ce qui peut facilement être impacté par les changements climatiques.

Les ongulés ont plusieurs défis à relever face au changement climatique pour maintenir leur succès reproducteur presque intact dirons nous et pour réussir à maintenir une survie des juvéniles suffisante à la pérennité de l’espèce, défis qui définissent les trois questions de cette étude.

Les trois interrogations de l’étude

  • quantifier le taux de changement de la période de l’accouplement des rennes,
  • déterminer si le changement phénologique dans le temps d’accouplement peut être expliqué par les facteurs climatiques, et quelles fenêtres temporelles de ces facteurs climatiques expliquent le mieux la variation du temps d’accouplement
  • évaluer les effets directs et indirects (par exemple poids corporel avant le rut) des facteurs climatiques identifiés sur le moment de l’accouplement.

Les données collectées pour l’étude l’ont été entre 1996 et 2013 sur une population de rennes semi-domestiques d’une centaine de têtes par an, au Nord de la Finlande. Tous les individus sont reconnaissables, les mâles équipés de colliers radio émetteurs, les femelles de colliers avec des couleurs significatives.


Résultats

L’étude a démontré que sur les 16 années analysées, la période de reproduction a subi un décalage de 11 jours. Cet avancement bien que important laisse la période de reproduction dans sa fenêtre historique, et rejoint les taux observés chez les autres mammifères (7 jours par décennie). On précise néanmoins que ce taux est le plus fort observés chez les espèces de la même famille d’ongulés.
Ce point soutiendrait que la population de rennes étudiée aurait une meilleure plasticité phénotypique c’est-à-dire une meilleure adaptabilité aux changements de conditions climatiques. Elle serait plus sensible aux indices d’un changement profond du climat pour adapter ses stratégies reproductrices rapidement, contrairement aux autres espèces de la famille.
Une meilleure plasticité s’expliquerait ainsi : la population vit dans un climat arctique donc beaucoup plus rude et dont les changement climatique sont plus drastiques que dans les régions tempérées ou montagnardes des autres espèces. Ainsi comme le changement climatique est plus rapide en arctique, les changements phénologiques du rennes doivent aussi être plus rapides qu’ailleurs.
Conclusion de ce point : il est impératif de prendre en compte les données abiotiques du milieu et de la population étudiée pour établir les liens entre changement climatique et variations comportementales de l’espèce en termes de reproduction.

Effet de la couverture neigeuse au début du printemps

Si la couverture neigeuse est faible au début du printemps avec des zones sans neige, la période de l’accouplement est avancée. En effet, les rennes doivent se remettre de l’hiver rude. S’ils peuvent avoir accès à la nourriture (zone sans neige), ils seront remis en forme plus tôt que si la neige était dense et épaisse. Cette condition physique retrouvée permettra donc un accouplement précoce car les rennes auront les réserves adéquates pour soutenir les dépenses que nécessite la future gestation hivernale.
Ce début de printemps, nous l’avons dit plus haut, est la saison du vêlage. Si la couverture neigeuse est plus faible avec une nourriture plus facilement disponible, le vêlage se fait plus tôt également.
Ajouté à cela que des conditions climatiques plus clémentes augmenteraient la biomasse fourragère en faveur d’une meilleure nutrition printanière pour les rennes. De plus, avec une réduction des coûts énergétiques dus aux mouvements sur la neige (pas de neige donc déplacements facilités et moins d’énergie dépensée), les rennes profiteraient davantage de cette meilleure nourriture. Tout ceci aiderait les individus à reprendre leur poids corporel et à reconstituer leurs réserves de graisse plus tôt et ainsi démarrer plus tôt la période des amours.

Effet de la température minimale du mois de juillet

S’il fait plus froid en juillet, l’accouplement est plus précoce. Pourquoi ?
Car avec des températures plus fraîches les insectes sont moins nombreux donc il y a moins de harcèlement sur les rennes qui peuvent alors se nourrir paisiblement et efficacement. En effet, plus nous avançons dans la saison plus le fourrage devient de moins bonne qualité du fait de l’éclosion des fleurs par exemple. Les rennes doivent donc augmenter leurs apports. Les insectes (plus nombreux avec les températures plus clémentes) empêchent les rennes de se nourrir correctement car ces-derniers sont occupés à disperser les insectes plutôt que de se nourrir d’où une dépense énergétique supplémentaire non compensée par l’alimentation. Ces deux éléments dirigent les rennes vers un poids corporel, avant l’hiver et donc avant le rut, plus faible. Les conditions physiologiques ne sont pas en faveur d’un accouplement précoce si les températures en juillet sont élevées.

Effet des précipitations en début d’automne

Moins de précipitations en début d’automne engendre une période des amours plus précoce.
On l’observe déjà sur les populations de cerf élaphe. Mais dans cette étude, l’impact direct des précipitations n’est pas assez fort pour que l’on puisse réellement conclure que des précipitations faibles avancent la période d’accouplement et, inversement, que de fortes pluies engendreraient des conditions physiques réduites (dépenses énergétiques importantes pour la thermorégulation, c’est-à-dire le maintien d’une température corporelle adéquate malgré la pluie) retardant l’accouplement. Ce manque de clarté peut être dû au fait que les rennes de l’étude aient une réserve de graisse suffisante leur permettant de pallier les variations météorologique au niveau de leur conditions physiques et notamment le poids corporel avant le rut, car ils disposent d’une nourriture supplémentaire vers le mois d’avril, comme il s’agit d’un population semi-domestique.


Limites de l’étude

Le fait que la population étudiée soit semi-domestique avec une alimentation complémentaire fin avril fait que les impacts directs et indirects des variations climatiques peuvent être atténués. Cette alimentation supplémentaire est devenue la norme dans l’élevage des rennes pour pallier à la stochasticité environnementale (= aléas environnementaux). Cependant les auteurs expliquent que nous pouvons malgré tout déduire que les rennes restent attentifs et sensibles aux conditions climatiques pour ajuster leur reproduction, à l’image des cerfs de Virginie. En effet une précédente étude sur cette espèce a révélé que les mères, malgré une disponibilité continue d’alimentation, voyaient leurs succès reproductifs variés avec les changement météorologiques.

On peut alors logiquement supposer que le succès reproducteur des ongulés et notamment des rennes, serait modulé par des facteurs abiotiques, tel que la qualité des précipitations. Mais l’effet causal des conditions météorologiques sur le calendrier saisonnier des animaux est encore une question qui reste à éclaircir. Comprendre comment le corps perçoit les signaux environnementaux, les intègre dans le système neuroendocrinien et les traduit en mécanismes effecteurs qui façonnent la synchronisation saisonnière reste un défi.


Conclusion

L’étude a montré que le moment de l’accouplement a eu lieu plus tôt en réponse à une diminution de la couverture neigeuse au début du printemps, des températures minimales plus froides au cours des 2 dernières semaines de juillet et des précipitations moindres en août-septembre dans une population de rennes semi-domestiqués en Laponie finlandaise.

Ces variations climatiques ont fait que les rennes récupéraient plus rapidement un meilleure condition physique pour assumer la période d’accouplement puis la gestation hivernale future.
Malgré leur nourriture supplémentaire, les rennes restent sensibles aux conditions environnementales et adaptent leur réponses comportementales en fonction, pour que les besoins énergétiques coïncident avec les pics de disponibilité des ressources.

En conséquence si les animaux sont capables de suivre précisément les changements climatiques et de pouvoir moduler leur réponse au niveau de la reproduction (enjeu majeur à la pérennité de l’espèce), leur viabilité serait assurée face au changement climatique.
Pour estimer l’avenir du renne (Rangifer) il faudra donc s’appuyer sur les changements des conditions météorologiques hivernales modulant la disponibilité de la nourriture hivernale et le verdissement printanier de la végétation modulant, lui, la disponibilité de la nourriture estivale.
Mais ces changement de comportement ne pourront pas, à long terme, toujours être efficace, si les changements climatiques sont de trop grande amplitude. Malgré une adaptation de la reproduction, si les conditions de vie sont moins favorables au maintien dans leur aire de répartition, les rennes seront en sursis comme toutes les autres espèces menacées.


Paoli, A., Weladji, R.B., Holand, Ø. et al. Response of reindeer mating time to climatic variability. BMC Ecol 20, 44 (2020). https://doi.org/10.1186/s12898-020-00312-8