Quand les oiseaux clignent des yeux, que nous disent-ils ?

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Vous et moi clignons des yeux sans même y penser, parfois très vite quand nous sommes au vent, parfois très lentement lorsque nous sommes concentrés. Chez les oiseaux, le rythme des clins d’œil se modifie aussi face à certaines situations. Mais lesquelles ? Une chercheuse américaine, Jessica Yorzinski se penche sur la question depuis quelques années …


Cligner des yeux est nécessaire pour maintenir une vision correcte et claire de notre environnement, notre œil se desséchant vite, cligner des yeux lui apporte l’humidité dont il a besoin. Mais en clignant des yeux, donc en altérant la vision temporairement, nous coupons l’arrivée d’informations de notre milieu jusqu’à notre cerveau.

Pour les oiseaux, ce comportement est donc coûteux car ils se privent temporairement de leur principal moyen de vigilance. Je vais vous résumer l’adaptation du clignement de yeux dans trois situations particulières : le vol, la pluie et lorsqu’un oiseau nous voit.

J. Yorzinski a utilisé comme modèle d’étude le Quiscale à longue queue (Quiscalus mexicanus). Le Quiscale à longue queue peuplait l’Amérique centrale et l’extrême nord de l’Amérique du Sud. Il a étendu son aire de répartition vers le nord jusqu’aux États-Unis et au Canada. Cet oiseau cligne des yeux en balayant ses membranes nictitantes semi-transparentes sur ses yeux, mais ses paupières restent généralement ouvertes lorsqu’il est en alerte. La membrane nictitante (ou troisième paupière) est une membrane semi-transparente, qui peut recouvrir l’œil chez les oiseaux et les reptiles, pour modérer les effets d’une forte lumière ou pour chasser des particules de poussière, etc., de la surface de l’œil.

Dans chaque cas étudié, la chercheuse a noté avant, pendant et après la situation, le nombre de clignements des yeux de l’oiseau, pour établir s’il inhibait ou non ce comportement durant le vol, en cas de pluie ou lors de rencontres avec des humains.


En vol

L’étude publiée en décembre 2020 a révélé que cet oiseau inhibait bien ces clignements des yeux lors du vol. Le vol comprend le décollage, le vol à proprement parlé et l’atterrissage. Cependant il y a une accélération des clignement des yeux lors de l’impact. Cette accélération est sûrement pour protéger leurs yeux des débris étrangers lors de l’impact avec la surface d’atterrissage ou pour compenser les clignements plus brefs pendant le vol.
Avant et après le nombre de clins d’œil est similaires, ce qui a donc permis de comparer et de conclure sur les clins d’œil en vol.
En minimisant le temps qu’ils passent à cligner des yeux, les oiseaux maximisent probablement l’entrée visuelle d’information qu’ils reçoivent de leur environnement. Le vol est une activité dangereuse et nécessitant une grande vigilance. Il est possible que les oiseaux puissent compenser les coûts associés au comportement clignotant en utilisant des capacités de traitement neuronal spécialisées ou en effectuant des ajustements comportementaux. Les clignements durant le vol étaient moins nombreux mais plus rapides, à tel point que la membrane nictitante ne recouvrait pas totalement l’œil, juste suffisamment pour humidifier et enlever les poussières de l’œil. Ceci permettant donc à l’oiseau de garder un certain flux d’entrée d’informations durant son vol.


Yorzinski Jessica L. 2020. A songbird inhibits blinking behaviour in flight. Biol. Lett.1620200786
http://doi.org/10.1098/rsbl.2020.0786



En cas de fortes pluies

Nous savons que les animaux adaptent leur comportement face aux changements de conditions environnementales. Ces changements peuvent créer des contraintes sensorielles obligeant à des ajustements comportementaux. La pluie, par exemple, diminue l’activité de certains oiseaux qui restent à couvert. A l’inverse beaucoup de prédateurs augmentent leurs activités.
La pluie modifie également les coûts métaboliques des espèces, les augmentant notamment du fait de la thermorégulation. Ces coûts supplémentaires pourraient expliquer que certaines espèces réduisent leur activité pour les compenser. La pluie réduit les capacités sensorielles comme l’ouïe, l’écholocation mais aussi la vue. Et c’est ce point qui nous intéresse ici.

L’étude a démontré que les oiseaux modifient leur clignement lorsque l’eau leur tombe directement sur la tète. Le clignement était aussi plus rapide par rapport à la situation où la pluie tombe de façon indirecte. En effet, la membrane nictitante, comme l’étude précèdente l’a révélé, ne couvrait pas totalement l’œil mais assez pour le débarrasser de gouttes de pluie, lorsque la pluie était directe.
Un fait intéressant est que ce sont les femelles qui ont le plus cligné des yeux par rapport aux mâles. Cela pourrait être en lien avec leurs yeux plus petits que ceux des mâles. Après l’arrêt de la pluie les oiseaux, mâles et femelles, ont continués à cligner de façon plus importante des yeux, sûrement le temps que la physiologie de l’œil revienne à la normal.
Un fait très surprenant est que les deux yeux, lors de la pluie directe, n’étaient pas synchronisés. Les oiseaux clignaient plus d’un œil que de l’autre s’il était plus exposé à la pluie. Les oiseaux peuvent ainsi adapter leur clignement dans chaque œil en fonction des conditions environnementales.

Un changement de comportement global peut compenser les coûts de la déficience visuelle lors des fortes pluies. Par exemple, les animaux peuvent aller se nourrir dans des endroits à faible risque de prédation, ou ne pas effectuer de grands vols pour limiter les risques d’impacts.
Comme le phénomène de réchauffement climatique va accélérer les changements météorologiques brusques il sera donc intéressant à l’avenir de pouvoir comprendre mieux leur impact sur l’écologie sensorielle des espèces
D’autres études qui examinent l’impact du temps sur le traitement visuel, y compris le clignotement, aideront à découvrir comment les animaux s’adaptent aux conditions météorologiques extrêmes.


Yorzinski Jessica L. Blinking behavior in great-tailed grackles (Quiscalus mexicanus) increases during simulated rainfall. Ethology. 2020;00:1–9.
https://doi.org/10.1111/eth.13003


En face de visages humains

Maintenant il s’agit de déterminer si ce comportement de clignement des yeux est aussi modifié par des situations de stress, c’est à dire face des à des menaces potentielles. Si l’animal cligne de l’œil, il perd momentanément accès aux données de son environnement ce qui peut se révéler tragique si un prédateur est proche, représenté ici par un visage humain.

L’étude a démontré qu’effectivement les oiseaux ont tendance à inhiber leur clignement des yeux s’ils sont en face de visages humains. De plus, ils inhibaient davantage leur comportement de clignement des yeux lorsqu’ils regardaient des visages humains qui étaient dirigés vers eux plutôt que si les visages étaient tournés.
La réactivité des visages a aussi induit un changement de clignement. Les oiseaux sont donc capables d’adapter ce comportement en fonction de la menace perçu. ils ont donc la possibilité de traiter l’information en degré de risques, par exemple faible ou élevé en fonction de l’orientation de notre visage. Pour ne pas perdre de données et pouvoir réagir vivement ils ne clignent pas des yeux, on peut les dire attentif au moindre changement de notre position dans l’espace. L’inhibition du comportement coûteux des yeux s’explique par le fait que déjà les oiseaux ont besoin de ne pas interrompre le flux d’informations arrivant jusqu’à leur cerveau mais aussi pour allouer l’énergie économisée (en ne clignant pas des yeux) à une possible fuite pour échapper aux prédateurs.


Yorzinski, J.L., Walker, M.K. & Cavalier, R. A songbird strategically modifies its blinking behavior when viewing human faces. Anim Cogn (2021). https://doi.org/10.1007/s10071-021-01476-6


Conclusion

Les espèces sont donc capables de bien des prouesses et ont une possibilité d’adaptation, qui nous émerveille à chaque fois un peu plus. Le clignement des yeux, ici, s’adapte donc aux risques potentiels perçus par l’oiseau face à une situation donnée, tout en préservant la physiologie de l’œil. Mais les dangers du réchauffement climatique sur leur capacité de résilience peut vite trouver les limites et mettre en danger d’extinction beaucoup d’espèces. On ne le dira jamais assez, mais le changement climatique est un fléau que tout à chacun doit combattre à son échelle.