Climat chaud pour espèces froides

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Les activités anthropogéniques en enclanchant le changement climatique ont amené au réchauffement global de l’atmosphère de la Terre. Les espèces ont un degré d’adaptation aux conditions environnementales, tel que les oiseaux ou les essences d’arbres qui peu à peu se délocalisent vers des zones aux températures plus adéquates à leur physiologie. Mais pour les espèces vivant dans des contrées froides et limitées (type île), leur panel d’adaptation est restreint. Il faut donc les comprendre pour pouvoir agir en termes de protection et préservation des espèces vulnérables.


La capacité d’adaptation est la capacité d’une espèce ou d’une population à faire face aux changements climatiques et se caractérise par trois composantes fondamentales : la plasticité phénotypique, la capacité de dispersion et la diversité génétique (Beever et al., 2016). Les deux premiers forment la plasticité comportementale.

Comprendre comment une espèce va s’adapter au changement climatique est un enjeu pour la mise en place de programmes de conservation et de gestion, afin de limiter le déclin d’espèces. Les populations d’une même espèce peuvent avoir des comportements complétement différents (plasticité phénotypique) face à des facteurs climatiques similaires, surtout dû au fait qu’elles ne résident pas dans la même zone de leur aire de répartition, certaines sont au centre, d’autres sont sur les bords. Certains bords sont considérés comme n’étant pas forcément une barrière infranchissable, la population peut déplacer son aire de répartition (capacité de dispersion) par exemple pour s’adapter aux changements climatiques. Par contre d’autres populations de bords sont coincées, notamment aux basses latitudes ou altitudes.


Pourquoi étudier l’orignal ?

L’orignal (Alces alces) est un ongulé adapté au froid dont l’aire de répartition géographique couvre une grande partie des forêts du nord de l’Amérique du Nord et de l’Eurasie. L’espèce a agrandi son aire en raison d’une disponibilité accrue de nourriture liée à des températures plus élevées, protection juridique des populations, des changements dans les pratiques forestières qui ont amélioré les conditions de l’habitat et réduit la prédation. Cet animal est emblématique et est le plus grand des Cervidés. Il porte des bois larges et aplatis, véritables armes de séduction qui peuvent mesurer 1,60 m de large, peser jusqu’à 30 kg et qui tombent en automne. Son cou court ne lui permet pas de manger les végétaux au ras du sol. Grâce à ses longues pattes sur lesquelles il peut se dresser, il atteint les feuillages à plus de 3 mètres de hauteur et les saisit facilement avec sa lèvre supérieure particulièrement mobile et bien développée. Le nord-est des États-Unis représente une partie du bord de fuite de l’aire de répartition géographique de l’orignal et semble de moins en moins adapté à la physiologie de l’orignal en ces temps de réchauffement. Ils subissent un stress thermique et sont menacés par les épizooties de tiques hivernales exacerbées par des hivers plus doux.

La zone d’étude pour cette recherche est le Massachusetts (MA), New-York (NY), New-Hampshire (NH) et le Vermont (VT). La carte ci-dessous mentionne les différents relevés pour chaque région.


Des études antérieures ont montré que certaines populations d’orignaux étaient adaptées localement aux températures, par exemple avec une plus petite taille pour des températures plus chaudes. Les auteurs suggèrent de mettre en évidences des niches thermiques (zones aux caractéristiques thermiques adéquates) où les orignaux pourraient alors subsister malgré le réchauffement global.
A l’image d’autres espèces, il semblerait (à confirmer) que les orignaux du nord-est puissent moduler leur comportement, en réduisant leur activité diurne les jours les plus chauds et se réfugiant dans des zones thermiques (zones ombragées et terres humides). Cependant, des précédentes études soulignent le fait que les déplacements entre les zones d’alimentation et les refuges thermiques nécessitent une dépense énergique intense ce qui réduit le bénéfice de ce comportement d’adaptation.
Il est important de comprendre l’utilisation de l’habitat par cette espèce face aux projections de changement climatique et estimer la persistance possible ou non dans leur aire de répartition.


A quoi pouvions-nous attendre ?

Après avoir établi les caractéristiques du milieu de vie de l’orignal, les chercheurs ont voulu savoir comment évoluerait cette utilisation de l’espace, en fonction des scénarios de changement climatique et quel facteur domine dans cette évolution.
Hypothèse : les orignaux se déplaceraient plus vers le nord pour palier le réchauffement climatique. Mais nous sommes en bord d’aire de répartition.
Hypothèse : Les populations du sud utiliseraient plus de zones refuges (car les températures augmentent) que les populations du nord, qui, elles, sont encore plus ou moins épargnées par les augmentations de températures.


Adéquations et projections des habitats

Avec l’étude de la couverture terrestre, la température hivernale, la biomasse forestière et la température estivale, mis en parallèle avec la présence ou non de l’orignal, les chercheurs ont pu déterminé de façon précise les caractéristiques du milieu prédisant la présence de l’orignal.
Ainsi l’animal préfère des zones plus froides avec une biomasse importante (permettant de réduire les températures, comme un tampon thermique entre deux zones, et un refroidissement par évaporation). Les orignaux préfèrent ne pas côtoyer des zones d’activités humaines découvertes (paysages agricoles par exemple), et se concentrent dans les zones humides et boisées.

Les modèles de qualité de l’habitat ont indiqué que les orignaux se trouvaient dans des zones localement plus froides du nord-est, confirmant qu’ils choisissent des zones plus froides localement, (on parle de refuges thermiques) à des échelles spatiales et temporelles relativement fines. De plus, dans bon nombre de ces régions, au moins 50% des jours ont été plus chauds que les seuils précédemment identifiés. Le fait que l’orignal persiste dans les climats plus chauds suggère que leurs seuils d’adaptation climatique n’étaient pas dépassés et le stress thermique engendré ne déclenchait pas une dispersion de la population .

Les chercheurs, se basant sur les pires scénarios de réchauffement climatique, ont estimé que l’aire de répartition de l’orignal, d’ici 2080, serait grandement réduite (de 71 à 99 % !). Les aires protégées qui sont plus adaptées aux espèces par rapport à l’ensemble de l’habitat, ne se déplacent pas et on comprend facilement qu’avec le changement climatique l’adéquation des ces aires protégées et la présence de l’orignal diminueront. Il est donc impératif de définir le modèle d’utilisation de l’habitat par l’orignal pour préserver l’espèce dans les années plus chaudes qui arrivent.


Utilisation de l’habitat en fonction des conditions météorologiques

Les orignaux de la zone d’étude se trouvaient le plus souvent en forêt des hautes terres du nord-est (70% des points GPS), suivis des zones humides boisées (13%), puis d’autres catégories dont des zones humides ouvertes. Mis en parallèle avec les températures des milieux au cours de l’année, les chercheurs ont établi que l’utilisation des terres humides boisées a augmenté à mesure que les températures augmentaient, mais les milieux forestiers voient leur occurrence en orignal diminuer avec l’augmentation des températures, car ces zones ne permettent pas de réduire suffisamment les températures.

Cette sélection de l’habitat dépendant de la température pourrait être bénéfique en réduisant la dépense énergétique pour la thermorégulation et est cohérente avec les observations de la sélection de l’habitat de l’orignal pour les zones humides boisées du nord-est et la sélection pour les forêts à canopée dense comme refuges thermiques en Europe. Cependant l’étude ne permet pas de déterminer clairement si ces modèles sont de véritables adaptations (c’est-à-dire qu’ils confèrent un avantage pour la condition physique) car elle ne tient pas compte des effets du comportement sur d’autres différences au niveau de la population, comme la densité de population et les taux de reproduction. De plus le déplacement entre les zones refuges de moindre qualité alimentaire vers des zones d’alimentation risque d’augmenter leur mortalité (traversée de routes par exemple). Ces mêmes animaux vivant dans des zones plus chaudes ont tendance à avoir un poids corporel plus faible et un taux de reproduction aussi plus bas, selon des études antérieures, à cause des charges de tiques hivernales. Ce type de épizootie est plus important pour des populations à forte densité. Il faudrait peut être alors faire preuve de vigilance face à l’expansion des populations pour éviter les éclosions de tiques et donc une mortalité accrue des orignaux sensibilisés par le réchauffement climatique.

Ainsi ils n’ont pas pris en compte la possible adaptation de l’orignal, ce qui est un enjeu majeur pour la survie de cette espèce. En effet les modèles comportementaux prédisent relativement peu de changements dans l’utilisation des types de couvertures en 2080 dans le cadre du changement climatique projeté. Ceci pourrait indiquer que l’orignal est contraint par d’autres exigences comportementales ou, inversement, que même de petits changements dans la préférence d’habitat pourraient être efficaces pour la thermorégulation. Il est également possible que les modèles sous-estiment les changements de comportement de l’orignal au fil du temps, car ils sont basés uniquement sur les changements de température, et non sur d’autres facteurs environnementaux tels que la couverture terrestre et les interactions biotiques

Pour illustrer ce point on peut notamment noter que les chercheurs ont observé une réponse comportementale plus faible de l’orignal à la température en hiver, ce qui pourrait être dû à un comportement thermorégulateur alternatif (litière dans la neige), à des adaptations physiologiques (taux métabolique réduit) ou parce que les températures dépassaient moins souvent les seuils thermiques en hiver. Il y a bien une interaction entre les facteurs biotiques et abiotiques modulant les comportements d’adaptation face au changement climatique.


Conclusion

Cette étude, centrée sur la zone du bord de fuite de l’aire de répartition de l’orignal aux Etats-Unis, a permis de mettre en évidence qu’il existe des adaptations locales des populations. Ainsi les population plus au sud de l’aire de répartition semblait être plus adaptées à des températures plus élevées que les populations du nord. Ce qui laisse un espoir quant à la transmission de cette capacité d’adaptation aux autres populations plus vulnérables.

Ensuite cette étude met en exergue quelques idées de programmes pour aider à la conservation de l’orignal en diminuant la vulnérabilité face aux changements climatiques. Par exemple nous pourrions restaurer et entretenir les zones thermiques refuges tels que les forêts à couvert fermé ou les zones humides boisées dans les zones chaudes. De plus le réchauffement climatique risque à long terme d’assécher les zones humides utiles à l’orignal, modifié le régime des précipitations et créer des explosions de parasites à certaines périodes de l’année, comme les tiques.

La couverture terrestre, la biomasse forestière, la température et leur interaction sont toutes importantes pour prédire l’adéquation de l’habitat de l’orignal, mais à différentes échelles. Les variables de température étaient plus importantes dans les modèles locaux que dans le modèle régional.
L’étude apporte des indices des multiples stratégies de l’orignal pour s’adapter, à mesure que les températures augmentent avec le changement climatique. Mais cette plasticité pourrait également limiter la taille de leur population ou leur taux vital.

La cartographie des refuges thermique face au changement climatique est primordiale pour les protéger et permettre la persistance de l’orignal. De futures études tenteront également d’identifier des régions génétiques sélectives ayant évolué pour permettre à l’orignal de persister dans des conditions plus chaudes. Ces pools génétiques pourraient ainsi aider à la préservation des populations plus vulnérables au nord.
Cette démarche d’analyse combinant plusieurs sources de données et la construction de modèles à l’échelle régionale ET locale pourrait être appliquée à d’autres systèmes afin de comprendre les réponses potentielles des espèces au changement climatique.


Teitelbaum, CS, Sirén, APK, Coffel, E, et al. Habitat use as indicator of adaptive capacity to climate change. Divers Distrib. 2021; 00: 1– 13. 
https://doi.org/10.1111/ddi.13223