Si certains animaux peuvent percevoir l’état de leur corps et leurs comportements, alors peut-on parler de conscience ? Les animaux ont-ils conscience de leur propre existence en tant qu’individu unique ?
Le test du miroir est un début de réponse, mais tout cela reste controversé.
Qu’est-ce que le test du miroir ?…
C’est un test mis au point par Gordon Gallup en 1977 pour définir si les primates non humains avaient une conscience à l’égale de celle des humains. Il voulait donc mettre en évidence si les primates pouvaient se reconnaitre et alors agir en conséquence, via l’utilisation d’un miroir comme outil pour regarder des parties du corps invisibles (comportements auto-dirigés) ou pour enlever une tâche sur leurs corps. Ce second cas présente des données fiables seulement pour les grands singes (les hominidés) : le bonobo, l’orang-outan et le chimpanzé.
Le test de la marque se déroule en deux phases :
– marque invisible et présentation du miroir (phase témoin, permettant d’ôter la sensibilité tactile pour expliquer les comportements face au miroir)
– marque visible (avec le même consistance) et présentation du miroir.
Plusieurs biais d’expérimentation (tout ce qui peut altérer les résultats, autre que les facteurs testés) ont pu être soulevés et mettre en doute les résultats obtenus chez d’autres espèces, tel que les labres nettoyeurs (étude de 2019) qui semblent montrer une réaction positive au test de la marque avec le miroir.
Parmi ces biais on peut citer le faible nombre d’animaux testé et l’impossibilité de réplication du test, le fait que d’autres conspécifiques (congénères) soient présents lors du test, ou même une irritation possible de la marque qui rend alors caduque le fait que l’animal s’y intéresse seulement à travers sa vision par le miroir.
La présente étude (Baragli et al. 2021) sert d’étude réplicative à celle de Baragli et al. 2017, afin de conforter les premières conclusions de l’étude quant à la reconnaissance de soi chez des animaux non primates, les chevaux.
Protocole
Contrairement à la précédente étude sur les chevaux (Baragli et al., 2017) le nombre de chevaux testé a été augmenté pour renforcer le poids des analyses statistiques et donc la fiabilité des résultats. Les 14 chevaux sélectionnés l’ont été sur la base de leur confiance dans les personnes s’occupant d’eux et leur familiarité face à l’arène (dans laquelle se déroule l’expérience), évitant ainsi un certain nombre de biais environnementaux. De plus leurs conditions de vie ont permis de ne pas voir émerger des comportements stéréotypiques.
Le test du miroir a été pensé en quatre phases.
- Les deux premières phases permettent d’observer les comportements face au miroir et la compréhension de sa fonction (1/ Miroir caché, 2/ Miroir découvert) : attention sélective, exploration vers le miroir et comportement d’urgence (stress) = test de la transgression des attentes.
- Les deux dernières phases correspondent au test de la marque : 3/ marque invisible sur les deux joues (endroit visible qu’avec le miroir pour le cheval) et 4/ marque visible au même endroit. Les comportements notés, montrant un intérêt pour la marque et le miroir, sont le grattage et le frottement de tête.
La méthode de la transgression des attentes
Ici il s’agit de savoir, en évaluant le raisonnement du cheval face à des paradoxes, s’il reconnait ses conspécifiques via des preuves de natures différentes.
Cette méthode est utilisé aussi chez les bébés pour comprendre leur raisonnement et évaluer leur mémoire. Le bébé est familiarisé à une situation, puis, après un délai, l’expérimentateur le place devant une situation qui contrevient ou non à ses attentes par rapport à l’évènement initial. Si le regard du bébé s’attarde alors plus sur la situation inattendue, le chercheur infère qu’il a pu garder en mémoire l’évènement initial.
La marque invisible et visible est faite avec du gel pour les ultrasons lors des échographies, coloré avec de la peinture pour les doigts. Les auteurs ont choisi deux couleurs primaires qui entrent dans le champs de perception visible du cheval : jaune et bleu. Avant chaque phase, une période de 10 min de soins est posée pour éviter, lors de l’application de la marque, que le cheval ne ressente un changement avant d’être devant le miroir. Chaque cheval a été testé individuellement et le matériel nettoyé entre chaque phase pour éviter une attirance olfactive.
Ici, les chevaux ont été testés dans une arène symétrique sans la présence de conspécifiques et le nombre d’essais a été normalisé. De plus, puisque l’étude pilote a révélé que la motivation à réagir au miroir a chuté après environ 20 minutes (chaque essai a duré 60 min à Baragli et al. 2017), dans la présente étude, chaque essai a duré 30 min.
Pour que les données recueillies soient prises en compte en tant que reconnaissance de soi et non juste un intérêt pour l’objet nouveau, le protocole a fait passé les chevaux dans un ordre précis de phases, déterminé par les études antérieurs, transgression des attentes puis marque.
Capture d'écran de l'enregistrement lors du test du miroir.
Baragli et al. 2020
Qu’a-t-on découvert ?
Trois chevaux ont été écartés car montrant des réactions extrêmement vives (une de peur et deux agressives), ne permettant pas de les inclure dans les données. Ces variations de comportements excessives sont présentes comme dans toutes espèces, selon les sensibilités individuelles, et ne peuvent être prédites à l’avance. On peut le mettre en parallèle avec la sensibilité allergique, une personne peut réagir de façon extrêmement violente face à un aliment alors que son voisin n’aura aucune réaction.
Transgression des attentes
Le cheval reconnait l’image d’un cheval dans le miroir (critère visuel), mais les informations olfactives et tactiles ne correspondent pas. Le cheval est face à un paradoxe. Les chevaux de l’étude ont alors émis des comportements contingents (qui se produisent suite au stimulus du miroir), attendus selon les études précédentes, c’est-à-dire mouvement de tête et protubérance de langue vers le miroir. Les mouvements de têtes semblent être la réponse à l’angle mort de leur champs visuel.
On sait alors que le cheval essaie de résoudre le paradoxe : le miroir reflète une image et n’est pas un cheval vrai. On peut passer à la phase suivante.
Test de la marque
Considérant l’anatomie particulière du cheval, le comportement de se gratter la tête est considéré comme étant le comportement induit par la vision de la tâche pour l’enlever.
Ici quand la tâche est invisible le cheval ne présente pas ou peu ce genre de comportement contrairement au cas où la tâche est visible. En effet le cheval passe plus de temps à se frotter la tête quand la tâche est visible contrairement au cas où à la tâche est invisible. Ceci prouve qu’il n’y pas de stimulus tactile. Le fait de se gratter est donc bien seulement dû au stimulus visuel de la tâche dans le miroir.
Certains chevaux peuvent montrer moins de motivation à enlever leur tâche, dû à une sensibilité individuelle moindre ou à un défaut anatomique ou physiologique, imperceptible pour les chercheurs à la sélection des chevaux.
Cependant les auteurs soulignent que ces variations inter-individuelles en terme de motivation sont à prendre en compte pour augmenter le nombre d’animaux tester et diluer ces différences.
Conclusion
Malgré les différences inter-individuelles, les chevaux montrent bien une reconnaissance de soi, menant peut-être à induire une conscience de soi. Cette découverte permet d’étayer la thèse selon laquelle la conscience n’est pas un mécanisme de tout ou rien. En effet, les auteurs soulignent que la conscience de soi n’est pas un acte qui s’est produit d’un coup dans l’évolution, il n’y a pas eu une période sans conscience puis l’apparition de la conscience.
La conscience de soi est un phénomène gradué (évolution lente), chez les espèces où on la met en évidence. Les niveaux ne sont donc pas les mêmes entre individus et entre espèce, sûrement en fonction de la nécessité ou non de la développer, dans le cadre des enjeux sociaux (relation entre les individus lorsque les animaux vivent ensemble par exemple) et cognitifs (résolution de problèmes dans l’environnement par exemple).
Cette étude, réplication d’une étude précédente, a permis aussi de mettre en évidence les facteurs à modifier pour réduire les biais d’expérimentation et de normaliser les tests de marques. Ainsi nous pourrons avoir des données et résultats comparables, à travers les taxons, en partant du concept que l’émergence de cette conscience de soi est un mécanisme évolutif convergent à travers les branches phylogénétiques.
Baragli, P., Scopa, C., Maglieri, V. et al. If horses had toes: demonstrating mirror self recognition at group level in Equus caballus. Anim Cogn (2021). https://doi.org/10.1007/s10071-021-01502-7