Energies renouvelables, pièges écologiques pour les oiseaux ou opportunités de préservation des espèces menacées?

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L’énergie est un sujet d’actualités brûlant. La recherche d’énergies non polluantes et renouvelables est certes un enjeu écologique important mais encore faut-il que cette recherche et la mise en place n’aggravent pas les effets du changement climatique sur les espèces menacées… et notamment les oiseaux…


Selon une estimation américaine de l’Annual Energy Outlook de 2017, les 22 prochaines années verront les demandes énergétiques augmentées de 28%, provoquant une dégradation croissante des habitats naturels. Par exemple, 200 000 km² de nouveaux terrains en Alberta (Canada) devraient être aménagés pour des projets liés à l’énergie d’ici 2035 (McDonald et al. 2009). Liées à ces infrastructures, il y a des lignes de transmission de l’énergie du site de production à celui de consommation. Ces lignes détériorent l’habitat lors de leurs mises en place. Elles risquent également de fragmenter des milieux déjà fragiles et de réduire la capacité de dispersion et de reproduction de certains oiseaux. La plupart des études évaluent les impacts au niveau individuel en surveillant les taux de mortalité d’oiseaux individuels ou de couples reproducteurs à proximité des lignes de transport de l’énergie. Peu d’études démontrent les effets au niveau de la population ou traitent des effets indirects du développement des lignes de transport.

On repère souvent des oiseaux nichant ou se perchant sur les pylônes de transmission de l’énergie. On peut penser qu’elles confèrent aux rapaces un avantage visuel pour la chasse en leur permettant de réduire leur dépense d’énergie lors de la chasse au vol. L’augmentation des observations de rapaces ou même de corbeaux prés de ces structures nous laisseraient penser que de telles structures augmentent la taille des populations, mais aucune étude n’a démontré si tel est réellement le cas. On ne sait pas non plus si ces structures ne font que faciliter l’observation par les hommes de ces animaux et donc provoquent un biais d’observation. De plus si les populations sont réellement plus importantes quel est l’impact sur l’écosystème, en termes de prédation par exemple… De telles structures ont tous les critères pour devenir des pièges écologiques c’est-à-dire un habitat dont l’attractivité augmente anormalement, par rapport à sa valeur pour la survie et la reproduction d’une espèce.


Modèle d’étude

Les populations de buse rouilleuse (Buteo regalis) au Canada sont en déclin depuis les années 1980 (COSEPAC 2008) et sont répertoriées comme menacées à l’échelle nationale en vertu de la Loi sur les espèces en péril (gouvernement du Canada 2019) et en voie de disparition à l’échelle provinciale en Alberta en vertu de la Wildlife Act de l’Alberta (AFHRT 2009).
Elle semble apprécier nicher sur les piliers de transmission dans des zones de prairies, où elles ne trouvent pas d’arbres. Cependant ces nids sont plus sujets à être impactés par les intempéries par rapport à ceux établis à des hauteurs inférieures. Le nombre de lignes de transport en Alberta devrait augmenter d’un total de 4 000 km au cours des 21 prochaines années, avec environ 50 % de toutes les lignes dans le sud de l’Alberta. Aucune étude n’a encore été faite concernant l’impact sur les populations de buses établies dans les prairies.

L’étude a été réalisée lors de la construction des lignes de transmissions entre 2014 et 2018 entre Fort MacLeod et Calgary en réponse au développement d’un parc éolien près de Fort MacLeod (AltaLink 2014).

Quels impacts ?

Le taux de nidification sur les pylônes a bien augmenté, par rapport à une zone qui en serait dépourvue. Il est en moyenne de 47,9 % plus élevé que le taux de nidification avant la construction. Ceci suggère que cette région est pauvre en emplacements de nidifications naturels et que la buse rouilleuse utilise ces sites artificiels. Même un changement mineur dans l’aire de répartition, affecte grandement la population reproductrice de cette espèce.
L’étude souligne, par ailleurs, que les buses n’ont pas souffert d’un manque de proies, la capacité de charge du milieu était assez grande pour supporter une plus forte densité de population. Les résultats démontrent l’importance de considérer la disponibilité des sites de nidification comme un facteur limitant des populations reproductrices, même dans les zones où le nombre de sites de nidification était déjà important (via les pylônes des lignes de transport existantes).

Pour se rendre compte de l’impact potentiellement négatif des structures artificielles, il est intéressant de se pencher sur les individus “flotteurs” (oui vous avez bien lu!). Il s’agit de mâle mature, ici de rapace, ne pouvant détenir une zone de reproduction et donc n’ayant pas de site de nidification. Il partage le territoire d’autres rapaces mais ne peut se reproduire. Ce schéma peut réduire leur fitness reproductive en les poussant dans des zones avec des sites de nidifications pauvres et non optimaux. L’impact sur la population générale peut être négatif si le nombre d’animaux flotteurs est grand et que leur fitness se réduit drastiquement, mettant en péril la pérennité de l’espèce à long terme.

Une fois les anciens pylônes retirés, le nombre de nids a diminué de plus de 40%, ramenant la population à une densité d’avant construction. Mais , par la suite, les buses utilisent encore les pylônes soit pour nicher soit comme point de vue de prédilection. Elles économisent leur énergie pour repérer les proies contrairement à la chasse au vol.

Certes le nombre de nid est pus important mais est-ce que le succès reproducteur suit cette augmentation ?

Les différences ne sont pas flagrantes, mais elles existent. Les jeunes ont voler plus tôt avec des taux de réussite plus élevés. Ceci s’explique par un accès impossible des nids sur les pylônes par les prédateurs. L’abondance et la disponibilité des proies n’entrent pas ici en ligne de compte aux vues des données statistiques. On peut tout de même souligné le fait que les parents étant perchés très haut ont une meilleure vue sur les proies et, comme nous l’avons dit plus haut, dépensent moins d’énergie pour se nourrir. Ces pylônes n’apparaissent pas, à court terme, comme des pièges écologiques pour cette espèce. Des données supplémentaires sont requises pour confirmer ce fait à long terme.

D’un année sur l’autre le taux de réoccupation diffère grandement entre chaque site. L’explication réside dans le nombre de nids détruits par le vent et les intempéries. Les buses ne réoccupent pas un nid qui n’a pas permis une nidification complète. Il faut savoir que chaque année ces nids ne sont pas détruits par l’homme (interdit par loi) contrairement aux nids des corbeaux et autres rapaces.

Malgré le risque apparent de destruction des nids et de défaillance des tours de transmission, les buses rouilleuses ne semblent pas dissuadées de nicher dans les tours. Peut-être que la disponibilité accrue de perches pour la chasse et le succès plus élevé des nids dans les tours suffisent à compenser le risque d’échec.


Quelles conclusions retenir ?

L’étude démontre clairement une augmentation de la densité des nids lors de la construction de pylônes de transmission. L’impact direct sur la fitness des populations n’a pas été démontré. Cependant on peut noter et retenir que ce nombre de sites potentiels de nidifications augmentera considérablement la population et le ratio d’individus flotteurs face aux reproducteurs. Ceci implique alors des interactions répétées entre les individus sans territoire et ceux qui nichent sur les zones comportant des pylônes, et une reproduction des flotteurs sur des emplacement sous-optimaux, mettant en péril la pérennité de l’espèce à long terme.

Mais cette étude peut servir d’exemple concert de mise en place de substrats artificiels servant de sites de nidification pour des espèces en danger dont l’aire de répartition a fortement été dégradée par l’homme. La mise en place de telles structures pourrait alors permettre de maintenir une population menacée dans son aire d’origine.

Le recours à ces structures ou la modernisation de projets énergétiques et de leurs infrastructures associées ne sont pas un remède miracle à un déclin de population, car en effet il y a tout de même un décalage entre la mise en place de telle construction et l’utilisation par les oiseaux nicheurs. De plus le succès reproducteur n’est pas certain face aux risque de destruction des nids.

De plus grandes études sont nécessaires pour déceler les impacts indirects sur les populations locales et les communautés d’un site donné. La coopération entre les entreprises énergétiques et les scientifiques est un point non négociable si l’on veut préserver autant que possible les espèces malgré la demande croissante en énergie d’une population humaine toujours plus grande et vorace en énergie.


Parayko, N. W., J. W. Ng, J. Marley, R. S. Wolach, T. I. Wellicome, and E. M. Bayne. 2021. Response of Ferruginous Hawks to temporary habitat alterations for energy development in southwestern Alberta. Avian Conservation and Ecology 16(2):17.
https://doi.org/10.5751/ACE-01958-160217