Quelle bande son pour les poissons en Méditerranée ?

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On connait tous, plus ou moins, la biodiversité que renferme la Méditerranée, pleine de couleurs et formes diverses. Mais connaissez-vous les sons de la Méditerranée ? A quoi peut bien nous servir la bande son de la biodiversité marine ? Début de réponse dans cette nouvelle étude de biophonie !


Le paysage sonore marin provient de trois sources : les sons produits par la Terre (géophonie), les sons produits par la vie (biophonie) et les sons produits par nos activités humaines (“anthropophonie“).
La géophonie fait partie des composantes les plus intenses et les plus variables du paysage sonore, comprenant les sons produits par le vent, les vagues associées, la pluie, les séismes,…
La biophonie est produite par un large panel d’espèces des plus imposantes comme les baleines émettant des appels bruyants aux plus petits comme les crevettes ou les oursins broutant les algues. Ces derniers représentent la grande majorité du paysage sonore des récifs rocheux. Plus de 800 espèces de poissons dans le monde ont été identifiées comme vocaux dans des comportements territoriaux, alimentaires ou reproducteurs. Les signaux acoustiques ont une importance fondamentale dans les relations sociales des poissons et des mammifères marins, dans l’établissement des larves de poissons et d’invertébrés et dans la médiation prédateur-proie. La majorité des sons produits par les poissons sont constitués d’impulsions répétitives dont la fréquence est typiquement inférieure à quelques kHz. Selon le schéma de vocalisation, on peut distinguer les espèces et leurs comportements.

Actuellement il est admis que la diversité acoustique est liée à la diversité taxonomique et donc reliée à la biodiversité. En d’autres termes, un habitat bruyant est un habitat en bonne santé! mais attention à la qualité du bruit, on ne parle pas de l’anthropophonie !

D’ailleurs qu’entendons-nous par anthropophonie ? Elle est une composante pertinente des paysages sonores marins et comprend les sons produits par la circulation des navires et des bateaux, le sonar, le battage de pieux, les explosions, l’exploration sismique, le dragage et la construction portuaire. L’augmentation du bruit des océans au cours des dernières décennies a conduit à la réglementation de la pollution acoustique sous-marine dans différentes législations internationales. En effet dans les zones côtières, le trafic maritime est l’une des principales sources de bruit dont les fréquences se chevauchent principalement avec celles des sons des poissons et relèvent de la capacité auditive de nombreux poissons et mammifères marins. Ces bruits du trafic maritime affectent la communication, le comportement des espèces mais peuvent aussi réduire la fitness au niveau individuel et populationnel, et entraver les interactions trophiques, avec des conséquences fatales pour les écosystèmes marins. Les exemples de dauphins ou de baleines échoués sur les plages, à cause des interférences provoquées par les bruits que nous produisons, se multiplient.


Paradoxe des zones protégées

A la suite du paragraphe précédent vous allez vous dire que dans les zones protégées, le trafic maritime, le dragage,… étant extrêmement limité voir interdit, les interférences sonores anthropogéniques devraient être grandement réduites… D’ailleurs ces Aires Marines Protégées (AMP) sont considérées comme l’outil le plus efficace pour réduire les perturbations anthropiques des ressources marines et la dégradation des habitats, et pour maintenir le bon état de conservation des poissons et des mammifères. Cependant ces zones protégées vivent notamment d’écotourisme engendrant d’autres types de sons pouvant perturber les espèces présentes. Il est donc primordial d’étudier et de déterminer qualitativement et quantitativement les impacts des activités anthropiques sur ces milieux.

C’est sur ce point que s’est focalisée l’étude de La Manna et al. 2021, concernant l’aire Capo Caccia–Isola Piana située le long de la côte ouest de la Sardaigne, au centre de la mer Méditerranée occidentale. Des études récentes dans la zone ont mis en évidence la présence de 59 espèces de poissons dont les espèces sonifères à valeur de conservation, comme le maigre brun (Sciaena umbra) et le mérou (Epinephelus marginatus). Les principaux objectifs de cette étude étaient de caractériser le paysage sonore de la zone sur de courtes échelles temporelles et spatiales, et de quantifier les principales composantes anthropiques et biologiques.


Comment étudier le paysage sonore marin ?

La technique de surveillance acoustique passive (PAM) représente un moyen efficace de cartographier la présence des poissons sans impact sur les écosystèmes. De plus, les systèmes PAM peuvent être appliqués pour enregistrer des données acoustiques à de grandes échelles spatiales et temporelles sans présence humaine ni limitations liées aux heures de nuit ou aux conditions météorologiques. Plus nous multiplierons les études PAM, plus le répertoire de sons et des espèces s’enrichira et permettra de déterminer avec plus de précision et d’exactitude les espèces à l’avenir.

L’équipe a sélectionné des sites selon leur niveau de protection (intégrale ou partiel). Sur chaque site, deux enregistreurs acoustiques ont été déployés sur un fond rocheux avec quelques plaques d’herbiers. Sur la base des fréquences sonores, le bruit ambiant marin a été caractérisé en détectant la contribution de la biophonie et de l’anthropophonie.
Une analyse acoustique et statistique a permis d’identifier les différentes contribution des espèces ou des activités humaines, en fonction du niveau absolu défini par les auteurs comme bruit ambiant marin. Les sons des poissons ont été classés et comptés selon un catalogue de sons connus de la mer Méditerranée.


Résultats

La géophonie n’a pas été prise en compte dans cette étude car les relevés ont été effectués uniquement dans des conditions de mer calme et de vent faible, à la seule exception des vagues générées par les bateaux.
Les basses fréquences des activités anthropiques ont été pour toutes les zones les plus importantes entre 9h et 10h lors des départs des ferries et autres bateaux de croisières, même si les niveaux restent élevés tout au long de la journée. Les zones les plus protégées n’ont pas montré de baisse significative des niveaux de basses fréquences.
Les auteurs ont estimés que les composants biologiques dominants du paysage sonore étaient les sons impulsifs probablement générés par certains invertébrés et les crevettes claquantes de la famille des Alpheidae. Cependant l’équipe n’a pu déterminer la part relative attribuable au comportement de pâturage des oursins. Il faut noter que la population d’oursins dans cette zone a considérablement diminuée. Des recherches futures devront se pencher sur leur cas.

Les auteurs ont pu mettre en évidence la relation existant avec diversité spécifique et diversité acoustique, plus un milieu est riche en terme de biodiversité , plus il est bruyant.
La surveillance acoustique a également détecté le son associé à une espèce cryptique, Ophidion spp., un poisson typique des environnements de fond sableux qui se déplacent vers des fonds marins sableux et rocheux au cours de la nuit. En raison du comportement cryptique de cette espèce, le recensement visuel traditionnel des poissons peut probablement sous-estimer sa présence dans la zone.

Des différences ont été trouvées entre la biophonie diurne et nocturne des poissons, indiquant probablement un comportement acoustique différent des espèces émettrices. Les résultats sont à confirmer par d’autres études.


Conclusion

Cette étude a fourni les premières données de base sur les niveaux des différents sons ambiants, leurs tendances quotidiennes et les principales sources anthropiques et biologiques qui forment le paysage sonore local, mettant en évidence des différences significatives entre l’heure de la journée et le site. Le paysage sonore pendant la journée était dominé par le bruit des bateaux. Les limites de vitesse des bateaux et certaines limitations d’accès ne sont pas suffisantes pour protéger les espèces marines de la pollution acoustique. En effet, le bruit d’origine humaine le plus fort a été trouvé dans la zone de protection intégrale !

De plus, cette étude en démontrant la présence d’une espèce jamais enregistrée dans la zone (Ophidion) et en clarifiant la présence et la répartition de certaines espèces protégées, met en évidence l’efficacité du couplage de différentes techniques visuelle et acoustique pour fournir des informations plus exhaustives sur la structure et la distribution des assemblages de poissons et de leurs sites de reproduction. C’est donc un nouvel outils non négligeable pour adapter la gestion des zones protégées et permettre aux espèce s’y trouvant de retrouver leurs bruits familiers et non les bruits humains comme bande son !


La Manna G. et al. “Marine soundscape and fish biophony of a Mediterranean marine protected area.” PeerJ 9 (2021): e12551. https://doi.org/10.7717/peerj.12551