L’utilisation d’outils associatifs (c’est-à-dire l’utilisation de plusieurs outils pour atteindre le même objectif) a joué un rôle important dans l’évolution technique humaine. Mais c’est une compétence rarement observée chez d’autres animaux. Une étude en démontre l’existence chez le cacatoès, les rapprochant du corbeau, oiseau considéré comme l’un des plus intelligent.
L’utilisation d’outils associatifs nécessitent donc qu’un agent utilise deux ou plusieurs outils en même temps, indépendamment du fait que l’un soit attaché à l’autre. Il s’agit de la combinaison des fonction complémentaire de deux objets non assemblés. Ces constructions d’outils multiples sont appelées « outils composites ». La fronde et l’atlatl, par exemple, que les humains utilisent depuis des dizaines de milliers d’années, se caractérisent par la combinaison des fonctions complémentaires mais distinctes de deux objets pour atteindre un but unique (dans le cas de la fronde et de l’atlatl, frapper ou poignarder un objet/proie éloigné). Ces types d’outils, avec l’évolution de l’humanité, s’est limité au domaine récréatif, comme le golf (un club et une balle), le baseball (une batte et une balle), etc.
Chez les animaux, si l’utilisation des outils est observé à travers un certaine nombre d’espèces, l’utilisation d’outils composites reste extrêmement rare. Le cas peut-être le plus étudié d’utilisation d’outils composites chez les primates non humains est le cassage de noix chez les chimpanzés de Bossou, en Guinée. Une enclume et un marteau-pierre sont utilisés pour casser les noix afin d’accéder au noyau.
Modèle d’étude
Les cacatoès de Goffin sont des modèles non primates idéaux pour étudier les origines des innovations d’outils complexes. En effet, même si dans la nature, l’obtention de nourriture ne dépend pas de l’utilisation d’outils complexes, en captivité ils se montrent innovant en termes de solutions aux problèmes physiques à l’aide d’outils. Une découverte récente a montré que certains individus sauvages utilisent des ensembles séquentiels d’outils de manière sophistiquée (impliquant des actions simultanées, tenant l’outil et la cible simultanément). L’approche flexible des problèmes liés aux outils à la fois en captivité et dans la nature suggère que le comportement d’utilisation des outils de cette espèce est largement innovant. L’innovation se définit comme la découverte d’une nouvelle interaction comportementale avec l’environnement physique, l’exploitation d’une opportunité existante et/ou la création d’une nouvelle opportunité.
L’étude s’appuie sur le répertoire moteur connu du Goffin (comme l’utilisation de bâtons ou de balles, en se concentrant sur les relations spatiales.
Méthode : le club de golf
Le premier auteur, biologiste, Antonio Osuna-Mascaró de l’Université de médecine vétérinaire de Vienne et ses collègues ont conçu une expérience qu’ils ont appelée la tâche du club de golf. Il s’agit d’une boîte de puzzle avec un sol recouvert de moquette verte qui nécessite d’insérer une balle puis de la mettre avec un bâton dans un trou, pour déclencher la libération d’une récompense.

(c) ANTONIO JOSÉ OSUNA MASCARO / SCIENTIFIC REPORTS
Innovation spontanée et techniques individuelles
Sur 11 cacatoès, 5 ont pu résoudre la tâche, tous réduisant considérablement leur temps d’essai soudainement une fois qu’ils ont compris. « Cela suggère que les oiseaux ont été capables d’identifier et de mémoriser immédiatement les étapes nécessaires lors de leur succès initial“, ont expliqué les chercheurs dans leur article, « un modèle qui est incompatible avec les progressions d’apprentissage associatives typiques mais fortement cohérent avec les performances précédentes de résolution de problèmes de Goffin ».
De plus, les trois cacatoès qui ont élaboré la tâche dans le cadre des critères d’essai (Figaro, Pipin et Fini) ont tous utilisé des techniques différentes.
« L’un des aspects les plus étonnants du processus a été d’observer comment ces animaux ont chacun inventé leur propre technique individuelle pour saisir le bâton et frapper la balle, parfois avec une dextérité étonnante », a déclaré Osuna-Mascaró, un des auteurs de l’étude. « Un des oiseaux a actionné le bâton en le tenant entre les mandibules, un entre le bout du bec et la langue et un avec sa griffe, semblable à un primate ».
Tous les oiseaux n’ont pas résolu la boîte de puzzle lors de la première expérience. Un suivi a laissé entendre que les cacatoès pourraient apprendre à utiliser cet outil par l’observation. Après avoir vu un pair plus avancé terminer la tâche, certains se sont davantage engagés dans la boîte de puzzle mais n’ont pas entièrement imité les méthodes de leurs démonstrateurs.
Au fil des séances, les cacatoès ont démontré un apprentissage par rapport à l’ordre des insertions : ils ont appris à insérer d’abord la balle puis à interagir avec elle à l’aide du bâton. Les oiseaux ont des limitations physiques évidentes pour saisir et utiliser deux outils en même temps, et cette interaction externe simultanée peut être aussi proche que possible pour réaliser une telle action. Leurs limites semblent être liées à leur plan corporel, et non à leur dextérité, comme le montre cette étude et leur capacité à viser, comme au golf.
Comprendre le développement des enfants
« Bien que cette étude soit la première à montrer que les cacatoès peuvent coordonner des outils pour résoudre un problème, elle alimente également notre travail en cours avec les enfants », a déclaré Sarah Beck, psychologue du développement à l’Université de Birmingham.
La comparaison d’espèces aussi différentes aide la compréhension du développement technologiques impressionnantes des humains. Tout comme le golf défie notre propre capacité à viser, cette tâche démontre que les oiseaux savent aussi viser. Ils ont changé leurs mouvements pour ajuster la position du bâton, visant la bonne plate-forme au-dessus du nombre de fois qu’ils l’auraient eu uniquement par hasard.
Les résultats de l’étude sous-tendent que les cacatoès ont appris par émulation et non par imitation, ce qui arrive également certaines fois chez l’enfant. L’apprentissage chez ce dernier se tourne plus volontiers vers l’imitation que l’émulation. Cependant il est très difficile de différencier ces deux types d’apprentissages dans les premiers âges. Il est souvent admis que l’émulation est née chez l’enfant, longtemps avant l’âge de l’école, sous les encouragements du regard maternel qui a applaudi aux premiers bégaiements, aux premiers pas et aux premiers jeux. Cette étude pourra apporter un nouvel éclairage concernant la compréhension du processus d’apprentissage des enfants.
En conclusion, cette étude est la première démontrant que certains cacaotés de Goffin individuels sont capables d’innover la solution à une tâche qui nécessite l’utilisation de deux objets avec des fonctions complémentaires et des relations spatiales complexes. Les résultats indiquent que les conditions cognitives préalables à l’utilisation d’outils composites ont également évolué en dehors de la lignée des primates.
Osuna-Mascaró, A.J., Mundry, R., Tebbich, S. et al. Innovative composite tool use by Goffin’s cockatoos (Cacatua goffiniana). Sci Rep 12, 1510 (2022). https://doi.org/10.1038/s41598-022-05529-9