Mortalité inédite des oiseaux dans la mer de Béring

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Des milliers d’oiseaux morts ont été découverts sur le pourtour de la mer de Béring. Après l’article sur l’extinction du plus gros mammifère marin qui y vivait, la rhytine de Steller, voilà une nouvelle inquiétante et qui alerte encore un peu plus sur le changement climatique et ses conséquences.

En trois mois de temps, de octobre 2016 à janvier 2017, entre 3 150 et 8 800 oiseaux marins, toutes espèces confondues, ont trouvés la mort dans cette région. Les oiseaux principalement examinés par T. Jones et al. (2019) dans leur étude furent les macareux huppés (Fratercula cirrhata).

Macareux huppé
© Wikipedia

La mer de Béring et les oiseaux

Cet espace marin de haute latitude est semi clos, pris entre le Pacifique Nord et l’Océan Arctique. Sa topographie présente un vaste plateau continental et une saisonnalité marquée, avec la formation d’une couverture de glace variant selon les saisons et les années. La composition de son écosystème suit la même saisonnalité avec des pics de production primaire (phytoplancton, algues) engendrant des pics de consommateurs primaires et secondaires, permettant de nourrir une grande variété d’espèces (oiseaux, poissons). Cette mer est un milieu privilégié de vie et de reproduction pour de nombreux oiseaux marins. Elle soutient également une des plus grandes économies halieutiques du monde.
Les oiseaux marins sont considérés comme des indicateurs de l’état de l’écosystème dans lequel ils évoluent. Les grands changements climatiques ont été marqués par des épisodes de fortes mortalités d’oiseaux, périodes de très courte durée mais d’ampleur importante pouvant affecter de façon conséquente la taille de la population. De plus, les bouleversements induits par le dérèglement climatique sont plus extrêmes aux hautes latitudes.

Etude

Pour estimer cette mortalité anormale, l’équipe de T. Jones et al. (2019) s’est basée sur la direction et la vitesse du vent, et la localisation des dépouilles d’oiseaux. Les carcasses d’oiseaux ont été retrouvées exclusivement sur l’île de Saint Paul, située dans l’archipel Pribilof Islands.

L’archipel Pribilof
© Flickr

Depuis 2006, la région a mis en place des protocoles participatifs de collecte d’informations concernant les oiseaux morts sur les côtes, permettant d’avoir une base de données très importante et augmentant la force des analyses. Les dépouilles furent étudiées au niveau de l’état de santé général. Ils effectuèrent deux comparaisons quantitatives entre les données recueillies entre 2016 et 2017 et la base de données, pour ce qui est du nombre d’oiseaux et de l’identification des espèces. Ces deux analyses devaient permettre de mettre en évidence le nombre et la composition spécifique inhabituels des oiseaux retrouvés sur le pourtour de l’île de Saint Paul.

Ainsi, les résultats démontrèrent une abondance atypique des espèces de macareux huppés à cette période de l’année. Ces-derniers sont connus pour se trouver plus au large, au-delà de la lisière de la plateforme continentale, en hiver, après que les jeunes oiseaux soient sortis du nid et la mue terminée (adoption d’un plumage de vol différent). Même si les analyses, selon les scientifiques, n’ont pu permettre une véritable conclusion quant à l’origine géographique des carcasses retrouvées sur les pourtour de la mer de Béring, il est évident que cet événement a touché une part substantielle des populations d’oiseaux marins de la région.

Il est relaté, dans la littérature scientifique, que la majorité des périodes de fortes mortalités est reliée à un dérèglement climatique affectant soit la température de l’eau, soit l’abondance des proies ou le changement d’aire de répartition des proies, ou leur qualité nutritive. Ces conditions conduisent à un stress alimentaire. L’équipe de recherche a pu mettre en évidence ce type de stress au niveau de l’alimentation (quantité et qualité) des macareux huppés, dues notamment à une élévation de la température de l’eau. Associé au stress de la mue pour ces oiseaux (apparition saisonnière de nouvelles plumes de vol nécessitant une dépense énergétique importante), cela explique cette mortalité importante, concernant pour 79% des carcasses découvertes des macareux huppés adultes en pleine mue.
Le fait que les dépouilles se retrouvent seulement sur une île précise et non sur les autres îles avoisinantes, n’a pu être véritablement expliqué outre le fait d’un stress alimentaire moindre que sur l’île de Saint Paul, supposent les scientifiques.

Enfin il se trouve que les conditions climatiques (tempêtes) de cette période furent plus rudes causant une dépense énergétique plus grande et une impossibilité dans certains cas pour les individus de se nourrir, augmentant alors le stress alimentaire.
L’étude a démontrée une présence d’algues toxiques en plus grand nombre que d’ordinaire, expliquée par l’augmentation des températures de l’eau et le retrait de la glace plus rapide, ce qui a permis un pic de luminosité engendrant un pic de production de biomasse algale. Cette toxicité, même si elle n’est pas la cause première de la mortalité, a joué néanmoins un rôle négatif sur la viabilité des individus.
C’est donc l’élévation de la température des eaux qui engendra une cascade d’effets délétères pour les oiseaux marins, que ce soit pour les macareux huppés, ou les stariques cristatelles (Aethia cristatella) ou les guillemots communs (Uria aalge), autres espèces vivant dans la région et faisant partie de cette hécatombe.

Conclusion

Cet événement de mortalité de masse des oiseaux marins semblent donc bien être un indicateur du changement climatique global. La répétition de ces épisodes de chaleurs dans la mer de Béring sont dramatiques pour les macareux via la quantité et qualité de leur alimentation.
La résistance et résilience des oiseaux marins va définir leur survie face au changement climatique. Aujourd’hui les macareux huppés sont sur la liste rouge de l’IUCN en situation non critique (“least concern”), avec une population en baisse, mais il semble qu’ils se dirigent vers la le statut d’espèce menacée si ce dérèglement s’intensifie.

T. Jones et al. (2019) Unusual mortality of Tufted puffins (Fratercula cirrhata) in the eastern Bering SeaPLOS ONE. Publié le 29 mai 2019.
doi: 10.1371/journal.pone.0216532.