Un nom étrange pour un animal exceptionnel, il s’agit d’une espèce proche du lamantin et du dugong. Mais ce spécimen est (ou était) de taille beaucoup plus imposante que nos espèces contemporaines
Pourquoi me pencher sur cet animal disparu ? Car nous avons fêté les 120 ans de la naissance d’Anita Conti (17 mai 2019), première femme océanographe française, qui dès 1939 alertait le monde des dangers de la surpêche sur la biodiversité et l’extinction annoncée des espèces. De plus, le 8 juin 2019 sera célébré la journée mondiale des Océans. La rhytine de Steller est le parfait témoignage d’une extinction dont l’Homme est coupable, notamment par une pêche irraisonnée.
Cet article fait écho à celui sur le rapport de l’IPBES et celui sur la vulnérabilité des mammifères marins.
La rhytine de Steller, petite présentation
Nous ne connaissons cet animal qu’à travers l’unique description réalisée par le naturaliste Georg Steller. La rhytine est un cousin de notre dugong, mais aux dimensions spectaculaires, jusqu’à 8 mètres pour un poids de 6,5 tonnes (le poids d’un éléphant d’Afrique). Elle faisait partie de l’ordre des Siréniens, qui regroupe trois espèces de lamantins et le dugong.

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Tous ces animaux sont aussi connus sous le nom de « vaches de mer » (moins poétique), de par leur régime alimentaire (ils broutent les algues) et de leur tête présentant des ressemblances avec celle des bovins.
Ce mammifère paisible vivait dans un environnement assez étroit, se cantonnant à un petit archipel du Pacifique Nord, les « Iles du Commandeur », situé à 250 km à l’est du Kamtchatka.
Leur fécondité était faible (un petit tous les trois ans), une maturité sexuelle tardive (10 à 15 ans) et une longévité assez grande (90 ans). Leur régime alimentaire définissait leur zone de répartition. En effet les algues, dont ils se délectaient, ne poussaient que dans des eaux de faibles profondeurs.
Steller nous livre une description morphologique et anatomique de ce géant des mers dans son livre De Bestiis marinis. La peau de la rhytine était « plus dure encore que l’écorce d’un arbre », sans poil, rugueuse et très plissée. Sa bouche était bordée de deux rangées de lèvres « plus dures et résistantes qu’aucun animal terrestre », il s’agissait de plaques masticatoires/broyeuses.
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Phylogénie des « Vaches de mer »
Histoire d’un déclin
Les spécimens géants, que Steller observait, étaient donc cantonnés à ce petit archipel des Iles du Commandeur. Or d’après les fossiles retrouvés, il est apparu que les animaux de cette espèce avaient une aire de répartition beaucoup plus importante au Pléistocène (un arc de cercle allant de la Floride au Japon).
Leur mode de vie paisible est une des raisons de leur déclin. Dès l’arrivée des premiers hommes préhistoriques, ils chassèrent ces animaux car très peu craintifs et facilement accessibles, se trouvant dans les criques peu profondes. C’est ainsi que leur distribution fut restreinte rapidement, en plus des aléas climatiques.
Un reliquat trouva refuge dans l’archipel de Steller et fut encore plus ou moins préservé jusqu’au séjour du scientifique. Une fois rentré en Russie, Steller fit part de ses découvertes et les choses s’envenimèrent pour la rhytine. Les braconniers, chassant les loutres de mers et otaries, firent escale dans ces îles pour se ravitailler et tuèrent sans ménagement tous les représentants de l’espèce.
Ces animaux étaient tout de même en sursis du fait de
– leur morphologie imposante, résultat de leur adaptation aux changements climatiques et de milieu de vie qu’ils durent affronter. La Terre connut plusieurs épisodes glaciaires rendant la végétation marine rare et les épisodes tectoniques remplacèrent par des zones rocheuses les plaines lagunaires obligeant l’espèce à migrer plus au nord. Elle développa alors une épaisse couche de graisse pour pallier à la diminution drastique des températures. Ses mâchoires connurent aussi une spectaculaire évolution de taille lui permettant de brouter des algues qui étaient ancrées sur les fonds marins (= plaques masticatoires) et un cou plus flexible lui laissant la possibilité de manger malgré les courants assez vifs dans lesquels elle vivait. Cette taille imposante nécessitait une alimentation importante. Or durant les mauvaises saisons, comme le décrivait Steller, les individus ne se nourrissant presque pas, leur état physique était très préoccupant.
– leur stratégie reproductive de type K, c’est-à-dire un renouvellement des populations très lent, vu leur taux de reproduction très bas. Cela ne leur permettait pas de faire face à des aléas environnementaux trop important (à opposer aux espèces de stratégie r = renouvellement rapide des générations). Cette espèce vivait donc à la limite des capacités du milieu en termes de nourriture, et le moindre changement signifiait le début de la fin.
L’intervention de l’homme, en tuant si rapidement (en 30 ans) les représentants de la rhytine, accéléra l’extinction de cette espèce. C’est ce qu’on appelle une extinction de type « blitzkrieg » = une guerre éclair en allemand.
Nous pouvons aisément calquer ce processus sur notre pêche irraisonnée et massive, ne permettant pas à nos stocks de poissons de se renouveler. Nous aussi nous vivons sur la corde raide entraînant avec nous plusieurs centaines d’espèces.
Le dugong et le lamantin sont classés comme vulnérables selon la liste rouge de l’IUCN. Nous pouvons voir des spécimens de lamantin dans deux parcs en France, le parc zoologique de Paris (Lamantin des Antilles) et le parc de Beauval (Lamantin des Caraïbes).
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Etre conscient et informé de ce qu’il se passe afin d’agir pour préserver notre biodiversité est notre seule voie pour continuer à vivre et transmettre une terre remplie de richesses à nos enfants.
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