Les pièges photographiques sont connus et utilisés pour de nombreuses études, dans des environnements différents. Mais il est vrai qu’ils posent un problème quant à l’enregistrement de mammifères arboricoles et d’oiseaux, étant placés à terre.
Ici l’équipe de recherche sur les binturongs a testé un placement de caméras près de la cime des arbres…. Concluant ou non ?
Site de l’étude et matériels
Comme vous le savez déjà, depuis l’article sur les enjeux de conservation chez les binturongs, ces derniers présentent un intérêt particulier à Palawan, formant une unité de conservation primordiale par leur singularité vis-à-vis des autres espèces continentales. Palawan est reconnue réserve de Biosphère par l’UNESCO depuis 1990.
C’est donc sur cette île, dans la forêt de la réserve nationale Cleopatra’s Needle Critical Habitat, une des forêts les plus anciennes et riche en biodiversité de la région et donc un habitat pour de nombreuses espèces endémiques arboricoles, que l’étude se focalise. En effet les oiseaux et mammifères arboricoles présentent des lacunes importantes dans les données sur leurs écologies car les pièges photographiques traditionnels ne sont pas adaptés à ces animaux furtifs, les binturongs en sont un parfait exemple. Depuis une dizaine d’années des chercheurs mettent en place des appareils dans les arbres et essaient de mettre au pont des protocoles de recueil de données concernant ces espèces, c’est dans leur prolongement que l’étude se place.
20 pièges photographiques ont été installés entre février 2017 et février 2019, sur 15 positions sélectionnées d’après l’étude de Bowler (2017). Cette dernière s’est penchée sur la distribution et la richesse en espèces arboricoles des forêts tropicales à l’aide de pièges photographiques. Ils y mentionnent la nécessité d’experts en escalade pour mettre les caméras à des hauteurs efficaces. Pour les binturongs, les pièges ont été placés entre 5 et 20 m du sol, prenant 3 à 4 photographies lors du déclenchement de l’appareil par le passage d’un animal. Les arbres choisis sont des ficus, et donc sur des territoires potentiellement utilisés par les binturongs.
Binturong (Arctictis binturong)
Wikipedia (c)
Résultats
Un total de 73 020 photographies furent enregistrées de février 2017 à février 2019. Mais 94% de celles analysées n’étaient pas exploitables, du fait des feuillages denses ou de la non reconnaissance des animaux y figurant. Ce pourcentage élevé rend compte du principal désavantage de l’utilisation des caméras dans les arbres, saturation plus rapide des cartes mémoire et batteries vidées plus vite que prévu par le déclenchement intempestif des caméras, mais aussi de la modification de leur position par un animal. C’est pour cette raison qu’une étude antérieure de Grégory et al. (2014) recommande une vérification régulière des caméras. Cela n’a pas pu être réalisé de manière effective ici du fait du climat lors de la saison des pluies et de la nécessité d’avoir des experts pour accéder aux cameras en hauteur. Les vérifications s’effectuaient une fois par mois voir une fois tous les deux mois lorsque les conditions météorologiques se dégradaient.
Parmi les clichés utilisés, les auteurs de l’étude ont pu mettre en évidence la présence d’une espèce en danger, trois vulnérables et quatre sous statut IUCN préoccupant, ainsi que 14 espèces classés comme menacées selon le Conseil du développement durable de Palawan (PCSD).
L’identification des binturongs dans ces zones est une première ainsi que ces celles de certains oiseaux, par comparaison des données avec celles de l’étude de Marler et al. (2015, 2018). Cette dernière recensait des animaux terrestres non observées dans la présente étude.
Le taux de détection de tous les pièges n’est évidemment pas le même, ces différences s’expliquent par l’abondance différente de chaque espèce sur les sites études mais aussi par des biais d’échantillonnage. En d’autres termes, nous comptons deux fois le même individu du fait de la proximité de certaines caméras et de la difficulté de singulariser les individus. Ceci conduit à l’impossibilité de conclure quant à l’abondance relative des espèces, de façon claire et précise.
Hylopetes nigripes
Wikipedia (c)
Un point important de cette étude fut également la détection d’un phénotype anormal d’un écureuil volant de Palawan (Hylopetes nigripes). Ces écureuils sont censés être uniformément gris sur le dos et plus blanc sur le ventre. Ceux observés sur les sites d’études présentaient des rayures blanches et des tâches. Ils avaient été décrits pour la première fois en 1896 par Thomas comme étant le produit d’une mutation rare. Mais la répétition des prises de vue de ces individus en un laps de temps relativement court tend à laisser supposer que ce phénotype ne serait pas si rare.
Conclusion
Les pièges photographiques installés dans les arbres dans le but d’accumuler des données sur l’écologie des espèces arboricoles et des oiseaux sur une aire d’étude est un moyen intéressant, à coupler avec ceux déjà existant au niveau terrestre. Cette complémentarité permettra à terme d’approcher de façon précise et plus véridique la situation des espèces de la zone, notamment le binturong sur Palawan.
La connaissance des statuts taxonomiques et des statuts de protection IUCN des espèces présentes dans un lieu donné, donnera la possibilité d’instaurer des programmes de protection plus efficaces et adaptés à chaque enjeu de conservation.
A. Debruille, P. Kayser, M. Vergniol, M. Perrigon (2019) Biodiversity Assessment Langogan Forest in Central Palawan Island, Philippines by Arboreal Camera-Trapping. Palawan Council for Sustainable Development. Our Palawan 2019 (5) 11-19
Pour découvrir l’association sur les binturongs, associée aux études menées sur Palawan et les actions de l’association pour la protection et la connaissance du binturong :
www.abconservation.org