Il n’est pas rare de voir en une de nos actualités des révélations affreuses du traitement des animaux mais aussi des actions menées pour le bien être ou la protection d’animaux en danger.
Mais qui se préoccupe du petit lézard au fin fond de la forêt amazonienne risquant de s’éteindre dans les prochaines années ? He oui nous avons quelques préférences en termes d’êtres vivants à sauver. Pourquoi ressentons-nous de l’empathie envers certaines espèces et pas les autres ? Qu’est ce qui dicte ces choix ? Une équipe du MNHN de Paris s’est penchée sur cette question.
La terre est peuplée de plusieurs millions d’êtres vivants qui ne suscitent ni la même émotion, ni la même intensité de sentiments chez les humains. C’est ce qui était déjà soulevé dans l’article sur les binturongs, lorsque je parlais de la différence entre la niche culturelle d’une espèce et sa niche écologique. Vous n’êtes pas les seuls à préférer un lapin à une blatte ! Pourquoi tant de discrimination ? La réponse est simplement notre temps de divergence phylogénétique entre les deux espèces… Moins la distance est grande entre une espèce donnée et nous, plus nous ressentons de l’empathie envers elle. C’est ce qui ressort du sondage en ligne fait par l’équipe de recherche.
Méthode
Le choix a donc été porté sur un questionnaire en ligne permettant de toucher un plus grand panel de personnes, consolidant alors les futures données obtenues. Il a y eu 3509 personnes interrogées de Novembre à Décembre 2018. Cependant seuls 2347 furent retenues après l’application d’un filtre défini par l’équipe (européen, plus de 18 ans, profil complet, …). Pour chaque personne ils ont recensé, entre autres, leurs niveaux de connaissances en biologie, leur opinion vis-à-vis de la chasse et de la pêche, leurs régimes alimentaires, la valeur qu’ils donnaient à la vie animale.
Les personnes sondées eurent pour chaque lot de photographies (un lot est composé de deux photographies) à répondre à deux questions, l’une portant sur l’empathie l’autre sur la compassion. Les 22 lots étaient formés de façon aléatoire par un logiciel, et le placement à droite ou à gauche de l’écran de telle ou telle espèce était lui aussi issu d’un tirage aléatoire, ceci pour chaque participant.
Les photographies couvraient 52 eucaryotes macroscopiques, se voulant un échantillon le plus représentatif de la diversité du vivant, à l’exception des organismes microscopiques. (Difficile de rivaliser pour un microbe face à un dauphin… 😉)
Comment définir un sentiment ?
Il est très difficile de définir précisément un sentiment, cela peut être le fait de ressentir physiquement une sensation, ou alors d’apprécier mentalement un état de choses.
Plusieurs définitions sont données par le Centre national des ressources textuelles et lexicales
– Conscience que l’on a de soi et du monde extérieur
– Faculté de sentir de comprendre ou d’apprécier un certain nombre de choses, de valeurs
– Manière de penser propre à une personne, à un groupe ou à un peuple
– Etat affectif complexe, assez stable et durable composé d’éléments intellectuels, émotifs ou moraux et qui concerne soit le « moi » (orgueil, jalousie) soit autrui (amour, haine, empathie).
A partir de tout ceci, il est évident qu’un sentiment particulier est intimement lié aux pensées de chacun, c’est-à-dire qu’il est difficile de trouver une définition réellement commune à tous par rapport à une émotion. Les concepts sont flous et fluctuants selon les usages, coutumes, les états mentaux mis en jeu, … Cependant les auteurs ont défini de manière globale les deux émotions qui nous intéressent, l’empathie et la compassion.
L’empathie, dans cette étude, se définira par la capacité de se connecter à un autre organisme, au même degré émotionnel. La question liée à cette émotion sera « je sens que je suis plus apte à comprendre les émotions, les sentiments de telle ou telle espèce ?».
La compassion se définira, ici, comme étant le sentiment d’être concerné par la souffrance de l’autre, associé au désir d’apporter son aide. La question liée à cette émotion sera « Si ces deux êtres sont en danger, je sauve la vie de telle ou telle espèce ?»
Résultats
Pour l’empathie, la probabilité qu’une espèce soit choisie diminue avec la distance phylogénétique relative à l’Homme. Un pas de 1 million d’années sur l’échelle de l’évolution vers l’homme, fait augmenter la probabilité de choix de 2, 54.
Pour la compassion le constat est semblable, nous observons une diminution de cette dernière avec la distance phylogénétique. Pour le pas d’un million d’année, la probabilité diminue de 0,63.
Les probabilités de ces deux émotions varient avec le genre des participants, leurs opinions concernant la chasse te la pêche, la valeur de la vie animale qu’ils ont et aussi le nombre d’animaux domestiques en leur possession pour ce qui est de la seule compassion.
Il y a donc une corrélation entre les scores d’empathie et de compassion. Cependant la décroissance de l’empathie est plus rapide que la compassion.
Enfin le temps de réponse diminue avec le temps absolu de divergence des deux organismes considérés dans chaque question. Mais il est plus long durant la deuxième question concernant la compassion.
Orang-outans, espèce déclenchant notre empathie
Pixabay (c)
Quelle pourrait alors être les raisons ou les mécanismes engendrant cette décroissance de l’empathie plus l’espèce nous est éloignée phylogénétiquement ?
Discussion
Stimuli anthropomorphiques de l’empathie
L’empathie ou la capacité à comprendre les sentiments d’autrui est cruciale en termes d’évolution humaine, pour les relations sociales mais aussi pour faciliter la coordination et la coopération. Comme nous venons de le voir cette émotion est extrêmement variable vis-à-vis d’une espèce à l’autre selon son degré de parenté, c’est-à-dire sa distance phylogénétique relative à l’Homme.
Or dans la conception collective de parenté une notion y est entremêlée, celui de la ressemblance. On postule ainsi que la parenté correspond, à peu près, au total des traits externes partagés et hérités d’un ancêtre commun pour deux espèces données. De manière stricte la parenté ne se résume pas à la simple apparence, évidemment. Ainsi, par exemple, la truite est plus éloignée de nous que le Cœlacanthe…
Cela étant dit, d’après l’étude, la capacité réelle ou supposée de se connecter émotionnellement à d’autres organismes dépend bien de la quantité de traits externes perçus comme étant homologues à ceux de l’être humain, ce que l’on nomme les stimuli anthropomorphiques déclencheurs de l’empathie.
Concernant l’inflexion de la courbe l’amenant à un minimum où les scores stagnent, l’équipe de recherche la rapproche de deux événements évolutifs majeurs, la transition des gnathostomes et celle des bilatériens, cette dernière étant surement la plus probable. En effet, il est concevable que pour nous autres, êtres humains, il est plus facile de ressentir de l’empathie pour des organismes présentant une symétrie bilatérale, une différenciation dorso-ventrale et antéropostérieur, que pour des organismes qui n’ont « ni queue ni tête », et où la symétrie n’est pas celle qui nous est commune, comme la symétrie radiale des étoiles de mers.
Evidemment le fait de faire partie des bilatériens n’est pas un gage d’empathie, car certaines espèces ont perdue au cours de leur évolution ces traits externes ou ont acquis une organisation complètement différente ne permettant alors pas de déclencher les stimuli anthropomorphiques et d’engager notre empathie.
Empathie VS compassion
Le fait de ressentir de l’empathie n’assure pas de ressentir également de la compassion envers la même espèce. C’est le constat qui ressort de l’étude, malgré le fait que, de manière globale, les deux émotions décroissent avec la distance phylogénétique. En effet des choix dissociés entre ces deux émotions ont été relevés. Par exemple, nous avons un score d’empathie bas pour le chêne, mais son score de compassion est supérieur. Il en va de même avec le grand requin blanc, le score de compassion est relativement haut face à son score d’empathie et la distance phylogénétique. Ces deux êtres vivants incitent la compassion de par leur taille imposante, semblant jouer dans les préférences des Hommes. A l’inverse l’empathie pour les tiques est faible et son score de compassion encore plus bas, à la limite de l’antipathie, traduisant l’aversion des Hommes pour les parasites.
Ces réponses contradictoires de compassion semblent être modulées par nos inclinaisons éthiques et nos connaissances sur les espèces données contrairement à l’empathie. De plus, la question concernant l’empathie était neutre, mais celle de la compassion engage en quelque sorte notre responsabilité (la mort de quel être m’affecte le plus), les participants sont face à un dilemme, d’où le temps de réponse plus long pour ces questions comme nous l’avons noté dans les résultats.
Les auteurs concluent que malgré l’intervention de la raison dans les réponses de compassion, il est surprenant de voir qu’elle suit la même évolution que l’empathie, décroissant avec la distance phylogénétique.
La persistance de l’empathie face au paradigme de la sélection naturelle
Dernier point traité dans cette étude, pourquoi un sentiment qui semble aller à l’encontre des principes même de la sélection naturelle (survie du plus adapté à une situation donnée à un instant donné) persiste. Il serait réducteur, comme le souligne les auteurs, de se concentrer sur le potentiel désavantage qu’induit un comportement altruiste envers d’autres espèces. En effet, les données sur l’effet réel de nos émotions sur nos évolutions et les interactions avec les autres espèces sont assez pauvres. Il rapproche les observations de l’étude aux cas isolés d’adoption inter-espèce, où les soins parentaux sont apportés par des adultes à des juvénile d’autres espèces, ces espèces étant proches phylogénétique.
Les auteurs, à travers le spectre de l’évolution arguent que la capacité d’empathie a sûrement permis à nos ancêtres de mieux comprendre les animaux sauvages, analyser et prévoir leur réactions facilitant leur chasse ou les prémunissant, dans le mesure du possible, des dangers qu’ils représentent.
La compassion, quant à elle, a poussé nos ancêtres à porter secours à des animaux blessés ou a adopter des animaux orphelins, ce qui préfigureraient les nombreux cas de domestications ponctuant notre histoire évolutive. Ce constat ouvre le champ à de nouvelles études concernant la domestication, à travers un nouveau spectre.
Conclusion
Il reste encore de nombreuses études à mener, pour confirmer la conclusion principale de l’étude concernant la distance phylogénétique induisant ou non empathie et compassion, en élargissant le panel (origines ethniques diverses) des personnes sondées. Nous pourrons ainsi appliquer ce principe à l’origine même des relations sociales, à l’ensemble de l’humanité et permettre une meilleure compréhension in fine de notre relation à autrui.
Pour plus d’informations sur l’article :
http://isyeb.mnhn.fr/fr/actualites/paru-dans-scientific-reports-un-article-scientifique-qui-mesure-notre-empathie-pour-le
[…] lorsque il y a un passif entre l’homme et l’animal. Rappelez-vous l’article sur l’empathie, les auteurs, à travers le spectre de l’évolution arguent que la capacité d’empathie a […]