Le changement climatique serait-il féministe chez les tortues de mer ?

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La parité est un grand débat et un enjeu chez nous les humains. Mais chez les animaux aussi, pour la pérennité des espèces. Alors quand le changement climatique vient jouer les fauteurs de troubles dans le sex-ratio des tortues de mer, l’inquiétude grandit…


La tortue verte ou tortue franche (Chelonia mydas) est sûrement la tortue marine la plus connue.
Elle se répartie dans les océans et mers dont la température de l’eau dépasse les 20°C. La vie des tortues juvéniles est encore méconnue, elles fréquentent surtout des zones pélagiques. Arrivées à une taille de 20 a 25 cm, elles côtoient alors des zones benthiques proches des herbiers et mangroves. Elles apprécient également les milieux associés à des récifs coralliens, estuaires et lagons.
Le régime alimentaire de cette tortue est d’abord carnivore durant la première partie de sa vie puis il devient principalement herbivore. Les expositions aux UVs du soleil sur les plages lui permettraient de compenser une carence en calcium et vitamine D.
C’est une tortue migratrice pouvant effectuer des trajets transocéaniques de plus 2000 km pour retrouver son lieu de ponte. Sa maturité sexuelle est entre 18 et 30 ans, selon son milieu de vie. Des recherches ont montrées qu’elle acquiert une véritable carte magnétique de son milieu, en utilisant les informations des champs magnétiques, lui permettant ainsi de se repérer avec précision et de retrouver son site de ponte. Elle utilise également les courants qu’elle traverse.

Il faut savoir que le sexe des tortues est déterminé dans l’œuf par la température du sable qui le recouvre. En effet les oeufs “deviennent” des mâles si la température est plus froide que celle nécessaire aux oeufs devenant femelles. En d’autres termes, quand il fait chaud les femelles sont dominantes, quand il fait froid ce sont les mâles.
Dans le contexte du réchauffement climatique, nous nous attendons donc logiquement (si je puis me permettre ce terme) à voir un sex-ratio biaisé en faveur des femelles. Si ce biais est avéré et fortement enclenché la pérennité de l’espèce va s’en trouver fortement compromise.

Cette tortue a déjà souffert d’une sur-exploitation mondiale. Elle est évidemment protégée actuellement mais reste toujours chassée pour ses écailles, sa carapace ainsi que sa graisse, ses cartilages et sa peau. C’est pourquoi une équipe s’est penchée sur le sujet du sex-ratio de l’espèce afin de mettre en oeuvre des programmes de protection plus en phase avec la réalité de la situation de la population du Pacifique Sud. C’est le même enjeu qui était exposé dans l’article précédent sur les requins baleines. Si nous avons une mauvaise connaissance de l’état de la population (en terme de nombre de mâles, de femelles et des âges respectifs) tout programme de conservation est voué à l’échec.

L’équipe de J-O Laloë (2020) s’est intéressée aux tortues venant sur l’île de Tetiaroa, en Polynésie française entre les saison de pontes de 2007/2008 à 2018/2019.
Cette étude a d’abord révélé une augmentation du nombre de nids par an et de grandes fluctuations entre les années.
Ensuite, ils ont mesuré la température des nids qu’ils déterminaient afin de prévoir le sexe des nouveaux-nés. La température moyenne était de 28,5°C, l’extrapolation a donc donné une estimation de 54% de mâles “produits” sur la période d’étude, ce qui réfutait l’hypothèse de départ d’un sex-ratio biaisé de façon importante en faveur des femelles.
L’équipe suppose alors que ces températures, restant dans un ordre de grandeur n’impactant pas de manière prononcée le devenir des tortues, seraient maintenues grâce à la végétation présente sur les côtes, les précipitations et la couleur du sable.


Ce résultat nous permet d’avoir une lueur d’espoir quant à l’avenir de cette espèce, si bien sûr l’environnement de leur lieu de ponte ne se dégrade pas, engendrant alors une augmentation des températures des nids.
D’où l’importante de la préservation des milieux côtiers pour les tortues, notamment, mais aussi pour toutes les espèces liées à ces milieux fragiles.


Laloë, J., Monsinjon, J., Gaspar, C. et al. Production of male hatchlings at a remote South Pacific green sea turtle rookery: conservation implications in a female-dominated world. Mar Biol 167, 70 (2020). https://doi.org/10.1007/s00227-020-03686-x