Quand le surf devient un enjeu écologique chez les herbivores

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Et oui le surf n’est pas la propriété exclusive de l’espèce humaine, les animaux aussi « surfent » mais sur des vagues végétales. Les grands herbivores migrateurs suivent les « vagues vertes », c’est-à-dire qu’ils entament un long périple pour suivre les pousses printanières des végétaux. C’est le cas du cerf mulet. Mais le changement climatique influe sur les caractéristiques de ces poussées de verdure. Quel est alors l’impact sur les herbivores et leurs migrations ?


C’est à cette question que l’équipe de E. O. Aikens et al. a voulu répondre en étudiant le cerf mulet dans l’ouest du Wyoming, aux Etats-Unis.

Le cerf mulet (Odocoileus hemionus), cerf hémione ou cerf à queue noire, doit son nom à la forme de ses oreilles. Ils vivent en hardes constitués des femelles et des petits de l’année, les mâles sont solitaires. Ils se nourrissent principalement à l’aube et au crépuscule. Ils restent sous le couvert des forêts le reste de la journée, évitant ainsi les prédateurs. Ce sont des animaux plutôt résistants face aux aléas climatiques, et s’adaptant à toutes sortes de milieux (montagnes ou plaines). En effet leur zone de répartition englobe tout l’ouest des Etats-Unis, du Canada au Mexique, regroupant divers environnements .

Les grandes migrations d’herbivores, comme les cervidés ou les bisons, sont bien documentées. Elles permettent aux espèces de survivre en se déplaçant vers des régions plus clémentes en fonction de la période de l’année, à la poursuite des vagues vertes, ces jeunes pousses printanières à l’intérêt nutritif conséquent. Cependant l’impact du changement climatique, et en particuliers la sécheresse, sur les avantages de la migration de ces animaux n’est pas connu. Il est néanmoins facilement concevable que, si les changements climatiques influent sur la phénologie végétale, c’est-à-dire sur la période de pousse des plantes du fait notamment de la sécheresse, les animaux, dépendant de cette nourriture, vont aussi être impactés.
L’équipe a réuni 19 années de données en termes de sécheresse et phénologie végétale, sur 99 routes migratoires uniques du cerf mulet.

L’étude révèle que la sécheresse a réduit la durée du printemps d’environ deux semaines et demi. Elle a également engendré un verdissement moindre le long des routes migratoires du cerf mulet. La sécheresse, outre le fait de décaler temporellement le renouveau des végétaux, perturbe la qualité de ces derniers. Les routes ayant eu le plus long verdissement lors des années sans sécheresse étaient les plus touchées lorsque la sécheresse frappait la région.
Les chercheurs ont également constaté que les cerfs, malgré une vague verte perturbée et incomplète, la suivaient précisément.

Mais le durée écourtée du printemps a limité le temps de nourrissage pour les cerfs et la qualité fourragère des aliments. Les avantages qu’il y a de « surfer sur la vague verte » sont presque complètement balayés par le contre coup qu’il y a en termes de dépenses énergétiques à suivre des poussées de verdures réduites dans le temps. En d’autres termes, les animaux se déplacent autant mais se nourrissent moins.


La conclusion dramatique de cette étude est que si la sécheresse s’installe et perturbe de façon conséquente et à long terme la phénologie des végétaux liés aux herbivores migrateurs, ces derniers vont vite être menacés en termes de survie.
La phénologie des végétaux et leur vulnérabilité face au changement climatique deviennent des points essentiels en termes de conservation des herbivores migrateurs. C’est un facteur à prendre en compte dans les plans de protection et notamment au sein des parcs nationaux.


E. O. Aikens, K. L. Monteith, J. A. Merkle, S. P. H. Dwinnell, G. L. Fralick, M. J. Kauffman (2020) Drought reshuffles plant phenology and reduces the foraging benefit of green‐wave surfing for a migratory ungulate. Global Change Biology. First published : 11 June 2020
https://doi.org/10.1111/gcb.15169