Vous pensez sûrement que je vais écrire une tribune sur le leg que nous allons laisser à nos enfants vis à vis du réchauffement climatique et sur leur avenir incertain aux vues des projections catastrophiques pour la planète. Hé non, je parle ici des futures baleines bleues australes, les générations qui arrivent voient leur fitness grandement diminuée, leur survie est en jeu.
Dans un précédent article j’évoquais avec vous le cas de la baleine bleue et son challenge pour être au bon endroit au bon moment pour se nourrir, via les variations de production de krill dues au changement climatique (cf. article “La ponctualité exemplaire du rorqual bleu“). Une autre conséquence de ce dernier sur les baleines bleues australes vient d’être découverte par C. Smith (2020) concernant la taille du fœtus de ce cétacé extraordinaire.
Mise en situation
Baleine bleue australe
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La baleine bleue australe (Balaenoptera musculus intermedia) est classée en danger critique notamment à cause de la chasse à la baleine du début du XXème siècle qui a décimé de nombreuses espèces de cétacés. Alors que certaines ont réussi à restaurer une grande partie de leurs populations, la baleine bleue australe montre une plus grande variation de population selon son milieu de vie. Ainsi, certaines populations ont totalement disparu, d’autres ont retrouvé une densité égale à celle précédant les chasses à la baleine (à l’est du Pacifique Nord) ; entre les deux, les données fluctuent.
Avant son déclin, l’espèce comptait 239 000 individus, puis ce chiffre est tombé à 370 ! Après une réglementation de la pêche, on comptabilise environ 2 280 individus, soit 1% à peine de la densité de population connue avant leur exploitation.
Pourquoi une telle différence dans la restauration des populations ?
Plusieurs explications conduisent à ce constat de croissance lente : la chasse illégale menée par l’union soviétique dans les années 1970, les collision avec les bateaux, les pièges que forment les immenses filets de pêche, mais aussi une réduction de leur nourriture presque exclusive, le krill antarctique.
Les baleines bleues réalisent de grandes migrations d’un site de nourrissage à un autre en fonction des saisons. Elles viennent passer l’été australe en Antarctique puis redescendent en latitude pour le reste de l’année où la nourriture est plus limitée. Ce schéma peut vite devenir critique si la nourriture n’est pas suffisante, notamment pour les femelles gestantes. Ces dernières ont un besoin immense en nourriture, car le fœtus de cette espèce est l’un des plus gros de tous les mammifères existants actuellement sur notre Terre. De plus, le taux de croissance du fœtus chez les mammifères marins est rapide permettant d’augmenter les chances de survie : le petit “naît déjà grand”.
Krill antarctique
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Le krill antarctique (Euphausia superba) est une espèce importante de l’Océan australe, intimement liée aux blooms de phytoplancton, mais aussi à l’étendue et la durée de la glace de mer hivernale. La réduction de cette glace depuis les années 1970 a provoqué un déclin de l’abondance du krill, se répercutant potentiellement sur les prédateurs qui y sont liés, dont notre baleine bleue australe. En effet il a été démontré que si la femelle ne peut se nourrir correctement, la fertilité est réduite et/ou l’investissement requis pour la croissance embryonnaire est diminué, mettant en jeu la survie du futur baleineau.
Données
Pour les données statistiques des baleines (femelles et baleineaux), elles correspondent à celles récoltées lors des saisons de chasses, avant sa réglementation, soit 20 344 échantillons sur 30 ans, de 1925 à 1954. A partir de ces chiffres, le chercheur a réussi à estimer la date de conception des petits pour la comparer aux variations des températures de surface de l’Océan australe, et à la production de krill de cette région.
Résultat/discussion
Une relation négative a été mise en évidence entre les anomalies de températures de surface et l’abondance de population des baleines bleues, sur la croissance du fœtus.
Il a également été démontré, par les analyses statistiques, que les variations de températures ont un impact négatif sur l’état physique de la mère, en lien avec une sous production du krill antarctique, réduisant alors la taille du fœtus, de facto.
Ainsi les températures plus chaudes engendre une densité de population moindre de baleines. Ceci aurait pu alors compenser l’effet négatif de ces températures et de la réduction du krill car s’il y a moins de baleines, le krill, même si il est réduit, se retrouve “en surplus”. Mais l’impact négatif sur la taille du fœtus ne semble pas pouvoir être inversé par ce “surplus” de krill.
C’est ce fait qui explique, dans un certaine mesure, l’échec du rétablissement de densité de populations existant avant la chasse aux baleines, contrairement à d’autre sous-espèces de cétacés.
Les baleines bleues australes apparaissent comme beaucoup plus sensibles aux changements climatiques et très sensibles en terme de fitness reproductive. La taille du fœtus réduit engendre des petits ayant des chances de survie amoindries, surtout dans des conditions où la nourriture principale des femelles est plus rare.
Les projections concernant la production de krill dans le siècle qui vient, en réponse à une élévation de température de 1 à 2 °C, sont un déclin de prés de 95% ! On imagine aisément l’impact considérable sur les mammifères marins qui en dépendent, notamment nos baleines australes.
C. Smith n’a cependant pas pu démontré un lien réel entre la date de conception des petits et les variations de températures de surfaces, c’est-à-dire qu’il n’y a pas forcément de pics de fécondation, par exemple, lorsque les conditions du milieu sont optimales.
Conclusion
La présente étude a mis en évidence des preuves circonstancielles de la relation négative entre la taille du fœtus des baleines bleues australes et les températures hivernales de surfaces de l’Océan australe des saisons précédentes. Ce lien est dirigé surtout par l’influence qu’ont la durée et l’étendue de la glace en mer sur la production de krill antarctique. En d’autres termes, aux vues des prédictions d’élévation de températures des eaux marines, la production de krill va s’effondrer, la croissance des fœtus des baleines va alors être mise en jeu et c’est leur survie qui va diminuer drastiquement.
La conséquences tragique est que cette sous-espèce menacée risque de ne pas pouvoir restaurer ses populations à cause du réchauffement climatique et finira par disparaître.
Carl Smith. A warming Southern Ocean may compromise Antarctic blue whale foetus growth. bioRxiv 2020.06.25.170944
doi: https://doi.org/10.1101/2020.06.25.170944