Les animaux marins devant respirer entre chaque plongée sont étudiés à travers leurs comportements actifs. Mais qu’en est-il des moments de repos pour restaurer l’énergie nécessaire à la croissance ou à la reproduction ? Quelles conséquences si le repos est perturbé par le changement climatique ou les activités humaines ? Les tortues marines font parties de ces animaux fascinants et dont la pérennité est fortement impactée par nos actions.
Les animaux plongeurs ont des comportements sous-marins actifs pour trouver leur alimentation, entrer en contact avec leurs congénères et éviter les prédateurs (Hochscheid, 2014). Le temps passé au repos est essentiel pour avoir des capacités physiologiques efficaces, comme l’assimilation des ressources après la recherche de nourriture. Cependant l’estimation de ces moments de repos est négligée dans les études et les conséquences écologiques du repos sont souvent passées sous silence pour ces animaux marins, repos jugé arbitrairement sans intérêt…
L’intérêt de comprendre comment ces animaux répartissent leur phase d’activité et d’inactivité spatialement et temporellement permettra de leur assurer une meilleure protection en évitant lieux et période critiques pour nos activités de pêche par exemple ou voies maritimes.
Dans un précédent article je faisais déjà mention de ces phases de repos des tortues vertes notamment près de Bornéo, après une longue migration. Ces dernière se posaient sur un rocher près de la surface, où blennies (Blenniidae) et poissons chirurgiens (Acanthuridae) venaient débarrasser leur carapace des parasites et algues. Les tortues s’endormaient alors !
Graphe de l'étude Seminoff et al. 2006
Vous vous demander surement comment il est possible d’estimer quand une tortue se repose et quand elle est en plongée active. La réponse est simple en liant les données de profondeur à celles du temps. On doit savoir combien de temps passe une tortue à une profondeur constante. Sur ce principe les chercheurs ont défini 6 profils de plongées (Seminoff et al. 2006). Le type 1 est reconnu comme présentant une phase de repos, entre la descente et la remontée.
Pourquoi étudier les tortues vertes ?
La tortue verte (Chelonia mydas), classée en danger par l’IUCN, est la deuxième plus grosse espèce de tortues marines, la première étant la tortue luth (Dermochelys coriacea). On l’appelle « tortue verte » à cause de la couleur verte de sa graisse. La couleur de sa carapace évolue avec l’âge.
Ces tortues utilisent une large gamme de milieux tout au long de leur existence, avec une préférence pour les zones néritiques (zones marines peu profondes situées entre la ligne de basse mer et le rebord de la plate-forme continentale) et côtières leur offrant une alimentation riche en herbes et algues marines. En général les tortues vertes sont plus actives le jour que la nuit avec deux pics d’activité diurnes.
Bahia de Los Angeles (BLA), une baie tempérée chaude dans le golfe de Californie, au Mexique, est la plus grande aire d’alimentation pour nos tortues vertes. En effet contrairement aux autres tortues vertes d’autres régions se nourrissant sur un seul site, celles de l’Est de l’Océan Pacifique multiplient les points d’approvisionnement souvent espacés de plus de 8km. Ceci s’explique par le fait que lez zones propices à l’alimentation (zones peu profondes) sont assez restreintes et les patchs de nourritures éparses. Ces tortures doivent plonger plus profondément pour se nourrir.
Cette région BLA présente aussi une saison froide marquée, durant laquelle on rapporte des comportements de torpeur de la part des tortues.
Ces contraintes impliquent donc pour les tortues de l’Est de l’Océan Pacifique d’accroitre leur phase active de recherche de nourriture, au détriment des phases de repos. Ce schéma est aussi appliqué aux tortues juvéniles, ce qui risque alors d’être défavorable pour leur croissance (He oui comme nous !).
Dans cette zone de l’est du Pacifique, entre 1960 et les années 1990, la population a fortement diminué du fait des menaces anthropogéniques. Depuis quelques années, la population tend à inverser la tendance, mais les menaces restent fortes avec les prises accessoires lors des campagnes de pêches et les collisions avec les bateaux.
Mise en œuvre de l’étude
Pour caractériser et définir les phases de repos des tortues les chercheurs ont émis trois hypothèses :
- La durée et la profondeur des plongées avec phase de repos seraient plus longues et plus profondes que les plongées sans repos
- Les durées des périodes de repos augmenteraient avec les profondeurs de repos
- Les tortues vertes BLA se reposeraient moins longtemps et moins fréquemment que les tortues vertes ailleurs dans le monde
Les données de l’étude s’étalent de 1999 à 2002. Le suivi télémétrique de 18 tortues a permis de connaître les profondeurs et le temps des plongées et d’en déduire les phases actives, c’est-à-dire de retrouver le profil de plongée de type 1 en U. En effet la phase stationnaire serait une phase de repos. Pour valider les plongées ayant des phases de repos, elles doivent durer plus de 4 min et avoir une profondeur de plus 2 m.
Ajoutés à ces valeurs, les données biologique type maturité et morphométrie sont compilées, pour établir ou non un lien avec les variations de phases de repos. En d’autres termes, savoir si les tortues qui dorment peu ont une moins bonne fitness.
Qu’a-t-on découvert ?
L’analyse des données a confirmé les deux premières hypothèses : 1) les plongées sans repos étaient moins profondes et plus courtes que celles avec des périodes de repos, et 2) la durée des périodes de repos augmentait avec les profondeurs de repos.
Ceci implique que les comportements actifs et de repos sont bien distincts et donc les tortues font bien un choix en terme de temps alloué à chaque comportement, impactant potentiellement leur traits d’histoire de vie.
Les facteurs qui modifient la répartition des comportements actifs et de repos pour les tortues sont notamment les conditions de l’environnement, la disponibilité en nourriture, la présence ou non de prédateur et les perturbations dues aux activités humaines.
Quelles différences entres les individus et entre les populations des tortues vertes ?
La profondeur et le temps des moments repos varient entre individus et semblent liés à la taille des individus, mais aussi à la nourriture. Les tortues de BLA ont des aires de vies plus grandes et des circuit d’alimentation plus large (patchs de nourriture dispersés) sont plus actives et ont donc des phases de repos moins longues que les tortues ayant des circuits plus courts.
Les auteurs notent que les différences inter-individuelles peuvent être également dues à des biais d’expérimentation et notamment ceux de l’enregistrement des données. En effet, pour les tortues de BLA ayant des phases de recherches de nourriture sur plusieurs sites assez éloignés, les nombreuses données de comportements actifs peuvent diluer les données concernant les phases de repos.
Les taux de croissance de nos tortues de BLA sont plus faibles que ceux des tortues des autres localisations et particulièrement la sous population de l’Est du Pacifique qui ont le taux le plus faible de toutes les tortues vertes !
Tortue verte broutant un herbier marin
Wikiwand
Associant ce que l’on sait de l’écologie des tortues BLA, le fait de se nourrir à des profondeurs plus grandes, subir des températures plus froides et avec des phases actives de recherches beaucoup plus longues (multiple sites d’alimentations éloignés), les auteurs concluent que ces taux réduits de croissance sont liés à des phases de repos plus courtes ne leur permettant pas d’assimiler correctement le résultat de leur recherche alimentaire. En d’autres termes, la nourriture trouvée ne leur “profite” pas.
La disponibilité en nourriture est donc un facteur clé intervenant sur le budget temps-énergie des différentes phases du comportement des tortues. Nous sommes là face un schéma biogéographique dans la variation intraspécifique du cycle de vie.
Plus clairement, deux environnements différents font diverger deux populations d’une même espèce. Si la nourriture est difficile à trouver ou de moins bonne qualité, du fait exclusivement du milieu de vie, alors les tortues ont des traits d’histoire de vie réduits (taux de reproduction et de croissance) par rapport à une population vivant dans un milieu à la nourriture plus facile à trouver.
C’est ce qui se passe pour les tortues de l’Est du Pacifique. Les points de nourriture sont plus aléatoires et marginaux. Ceci permet l’existence d’une sous population de tortues vertes mais aux traits d’histoires de vie moins typiques de l’espèce. Elles restent les tortues avec les taux de croissance les plus bas, et à la fitness réduite.
Lien avec les activités humaines
Les tortures passent plus de 80% de leur temps immergés à la recherche de nourriture, et sur une zone très large les rendant plus vulnérables face aux nombreuses menaces émanant de l’Homme, comme les prises accidentelles, les collision avec les bateaux, mais aussi les perturbations liées au tourisme. La cohabitation enter animaux et hommes est donc difficile. Les résultats de cette étude apportent un éclairage important pour améliorer la préservation des animaux et le partage des lieux et des périodes d’activités des tortues et des hommes.
Il faut compiler plusieurs sortes de données issues de différents types d’observations pour appréhender le déroulement clair et complet de comportements non observés directement, à l’image de ces moments de repos chez les tortues vertes.
Recouper ces diverses données à des valeurs précises sur l’environnement, la disponibilité en nourriture, la qualité bioénergétiques de cette dite nourriture, est essentiel pour corroborer de façon sûre les premières conclusions de cette étude.
Conclusion
Dans le golfe du Mexique, la population de tortues vertes présente un pattern de comportement atypique par rapport au reste des des populations de cette espèce à travers le monde.
En effet, lorsque les températures sont clémentes et en accord avec la physiologie des tortues marines, ces dernières augmentent leur phases d’activité pour rechercher de la nourriture, sur une large zone. Elles réduisent donc leur phase de repos et d’assimilation de la nourriture ainsi trouvée. Ceci engendre alors des taux de croissance les plus faibles de l’espèce et une maturité atteinte avec des tailles corporelles plus petites.
Ces résultats reflètent le caractère unique des habitats des tortues marines et populations à l’Est du Pacifique.
Parcourir de longues distances afin de se nourrir augmente le risque d’interaction avec les activités humaines et impactent négativement la survie. Il est donc primordial de protéger des zones plus grandes pour préserver les tortues vertes de BLA, de l’est du Pacifique.
Cette étude permet d’apporter des précisions et des arguments afin de d’établir et de mettre à jour des programmes de conservation des tortues marines plus en adéquation avec leur écologie.
Thanks to Dr. Jeffrey Seminoff for his kindness and consideration !
Seminoff, Jeffrey A., et al. “No rest for the weary: restricted resting behaviour of green turtles (Chelonia mydas) at a deep-neritic foraging area influences expression of life history traits.” Journal of Natural History 54.45-46 (2020): 2979-3001.
https://doi.org/10.1080/00222933.2021.1887387
Comme d’habitude un article et une étude très intéressants! 🙂
[…] Les études de suivi soutiennent également l’utilisation des oiseaux de mer comme sentinelles écologiques des écosystèmes marins de l’Anthropocène. Au moindre changement/évolution des écosystèmes, les oiseaux sont les premiers impactés et sont considérés à ce titre comme un signal d’alarme.La force de ces données est également de faire prendre conscience de l’urgence de la situation, mais aussi de l’importance des populations locales quant à leur soutien des activités de conservation. Car je vous l’ai dit déjà dans plusieurs articles, aucun programme de conservation ne peut fonctionner si la population locale n’y prend pas part. (Article « Dormir, enjeu plus grand qu’on ne le croit pour les tortues marines !« ). […]
[…] évitant également les conflits avec l’Homme, comme nous l’avons démontré dans le précédent article sur les tortues vertes du Dr. Jeffrey […]