Les plans de réintroduction sont une des pierres angulaires de la conservation des espèces. Mais encore faut-il avoir le soutien des populations locales, les moyens de les convaincre et de leur assurer le management. Encore plus quand il s’agit d’espèces emblématiques et pouvant entrer en interaction avec nos activités, ici le cas du jaguar …
La réintroduction, la restauration et le reboisement sont trois leviers pour conserver la biodiversité ou du moins ralentir et palier à l’extinction des espèces menacées. En effet pour établir la liste des espèces menacées, l’IUCN s’appuie notamment sur deux point clés : le fait que le nombre d’individu d’une espèce diminue, et que cette espèce voit son aire de répartition se réduire comme peau de chagrin par les activités humaines. Inverser ces deux points contribue à diminuer la probabilité de perte globale de l’espèce.
Comment faire accepter un programme de réintroduction ou de restauration compte tenu des nombreuses priorités différentes de la société pour les terres et les ressources ?
Selon les auteurs de l’étude, il y a cinq dimensions essentielles à mettre en avant pour les décideurs de la part de la communauté scientifique.
- Justifier le programme par un enracinement dans la philosophie de la conservation de la faune/flore, lui-même enraciné dans un système de valeurs
- Présenter le cas historique selon lequel l’espèce occupait autrefois le territoire et en a été chassé par des actions humaines qui pourraient être inversées
- Démontrer qu’à l’heure actuelle l’aire de répartition originelle présente les conditions nécessaires à la survie de l’espèce en question
- Démontrer que la réintroduction améliorera ou du moins ne nuira pas au bien-être humain
- Montrer que cet effort est réalisable dans un laps de temps réaliste
Des modèles à succès ont été développés ailleurs dans l’aire de répartition des jaguars (Zamboni, Di Martino et Jiménez-Pérez, 2017; Gasparini-Morato et al., 2021) servant de base à cette présente étude, qui se veut un exemple de travail rhétorique soutenant un programme de réintroduction. C’est dans cet esprit que le public visé par cette étude est d’une part les autorités locales, tribales et étatiques du Nouveau Mexique et d’Arizona et d’autre part le grand public qui lui décide qui gère les lois par exemple dans les états. Le sud-ouest des USA présentent une population cosmopolite changeante, impliquant une constante adaptation des programmes.
La présente étude va reprendre point par point les cinq dimensions précédemment exposées.
Jaguar en Guyane
Wikipedia
Justification du programme
La jaguar est considéré comme quasi-menacé, à l’échelle mondiale, et en voie de disparition aux USA.
La raison la plus importante pour la réintroduction du jaguar dans le centre de l’Arizona et du Nouveau-Mexique est que cela ajoutera un type d’habitat distinct et unique au panel des écosystèmes où se trouvent les jaguars, améliorant ainsi la représentation écologique de l’espèce.
De plus la réintroduction du jaguar pourrait améliorer la qualité des écosystèmes en ajoutant un prédateur au sommet supplémentaire à ces écosystèmes.
Enfin cette réintroduction pourrait également offrir une opportunité aux tribus indigènes notamment la tribu White Mountain Apache qui a été active dans la restauration d’autres espèces disparues, y compris le loup mexicain et la truite Apache.
Cas historique de la population de jaguars
Depuis 1960, le jaguar a perdu plus de 50% de son aire de répartition que ce soit par la prise de ses terres ou par la chasse. Il semble qu’il n’y ait que quelques mâles qui dispersent depuis une population établie à Sonora au Mexique.
Historiquement les jaguars occupaient une zone plus étendue comprenant les forêts de montagne accidentées de l’Arizona central et du Nouveau-Mexique. Une grande partie de cette zone demeure un habitat potentiel encore maintenant et assez vaste pour maintenir la viabilité de la population.
Aptitude écologique actuelle
La zone de réintroduction proposée est vaste, recouverte d’une végétation appropriée et bien peuplée de proies. Comme délimité par Sanderson et al. (2021), cette zone comprend 82 406 km2 suivant les contours de l’écorégion « Arizona/Montagnes du Nouveau-Mexique ». Cette zone est plus grande que les unités de “conservation Jaguar” cartographiées dans le Mexique adjacent, à Jalisco et Sonora, qui abritent des populations viables de jaguars.
En utilisant des méthodes de capacité de charge, on estime que la zone pourrait potentiellement accueillir 69 à 106 jaguars adultes et la population pourrait être viable durant 100 ans. Cependant des introductions périodiques de nouveaux individus seront nécessaires pour maintenir la diversité génétique, car la perte d’habitat due au développement et à l’infrastructure des murs frontaliers entrave la possibilité de rétablissement.
La zone de réintroduction est un habitat potentiel adéquat pour le jaguar : il est accidenté, a suffisamment d’eau, et un couvert convenable et est relativement exempt de perturbations humaines (seulement 1,1 % des terres utilisées). Cette zone fournit des proies : abondance du cerf de Virginie de Coues (la population a augmenté durant les 15 dernières années), complété par des proies plus petites telles que le javelot et le wapiti immature des montagnes Rocheuses.
Le jaguar peut entrer en compétition avec le couguar, ce qui changera l’équilibre existant entre proies et prédateurs, poussant peut être le couguar a attaqué d’autres types de proies.
Impact social
Les considérations environnementales et l’intérêt pour les questions de réintroduction dépendent de la population concernée et évoluent avec le temps, l’âge, le statut social et les préoccupation économique contemporaine. Il est donc primordiale comme le rappelle la présente étude de savoir exactement de qui sont composées les populations locales pour avoir un maximum d’informations sur les potentiels impacts néfastes que la réintroduction du jaguar pourrait générer sur ces populations, et pouvoir apporter une réponse claire quant à l’atténuation de ces effets. Ainsi le programme pourrait avoir un soutien de poids en terme de population locale si on fait la démonstration que le jaguar ne nuira pas au bien-être social de la région.
La région prévue pour la réintroduction du jaguar a une faible densité de population car l’urbanisation a été rapide, donc les hommes sont regroupés dans quelques villes. De plus, l’augmentation des revenus, de l’éducation et de l’urbanisation semblent conduire à un changement générationnel, avantage certain pour implanter une programme de réintroduction.
Il est peu probable que les jaguars attaquent directement les gens, à moins que les gens n’attaquent en premier.
Aucune attaque de jaguar contre des humains n’a été reporté durant le 21ème siècle. Les jaguars sont susceptibles de tuer du bétail, au moins occasionnellement. Moins d’animaux ont été tués par des jaguars que de morts d’abandon, de maladie et d’autres causes naturelles. De telles pertes peuvent être minimisées en déployant de manière proactive des stratégies d’atténuation.
Projection d’un futur programme
Les auteurs posent clairement la question et y apportent les réponses : Quel serait l’impact de plus de 60 jaguars sur 82 000 km2 sur l’économie de l’Arizona et du Nouveau-Mexique ?
Jaguar au Brésil
Wikipedia
Bien qu’au niveau macroéconomique, l’élevage de bétail soit une industrie mineure dans la zone d’étude, pour certains éleveurs, la prédation du jaguar peut être un problème financier important.
L’élevage de bétail n’est pas la première industrie de la zone, mais les jaguars peuvent avoir un impact financier important. Mais des mesures efficaces fonctionnement, dont la gestion des populations abondantes de proies sauvages, l’établissement de sources d’eau pour le bétail loin du couvert de chasse, l’utilisation de clôtures pour exclure le bétail des zones riveraines et autres zones sensibles, et l’emploi de cavaliers pour gérer le bétail et effrayer les prédateurs
Les pertes financières peuvent être atténuées grâce à des programmes de compensation directe qui paient les éleveurs lorsque les prédateurs tuent du bétail et des programmes de rémunération à la présence, qui fournissent de l’argent lorsqu’il est confirmé que les prédateurs sont présents sur les terres d’un éleveur. De telles programmes sont déjà présent sur a zone pour d’autres espèces de prédateurs et montrent des résultats satisfaisants.
Les jaguars peuvent influencer la chasse et le piégeage dans cette région, c’est-à-dire que les cerfs sembleraient plus faciles à trouver dans ces zones, car ils essayent d’éviter le jaguar, qui chasse en embuscade, et se rendent donc dans des espaces plus ouverts et beaucoup plus visibles des hommes. Mais compte tenu du nombre de proies abondante, une concurrence importante entre les chasseurs et les jaguars pour les abattages semble peu probable.
Les effets sur les autres espèces de gibier sont plus difficile à prévoir
Un impact positif est l’écotourisme, qui pourrait éventuellement générer de nouveaux emplois et revenus comme il l’a fait pour d’autres espèces. La présence de jaguars pourrait également être la base de l’éducation et de l’engagement, voire une source de fierté locale. Dans ce cas, une population de jaguars résidents serait une première aux États-Unis depuis un demi-siècle, avec une nouvelle valeur publicitaire importante et durable.
Conclusion
Les jaguars font partie de l’assemblage faunique américain depuis près de 1,5 million d’années, mais sont maintenant réduits en raison de la politique gouvernementale et d’une longue histoire d’interactions avec les hommes. La perte du jaguar est également une perte pour la nation, l’écologie de la région et en tant qu’espèce. Le patrimoine naturel de notre monde est diminué presque partout.
La réintroduction des jaguars dans les montagnes centrales de l’Arizona et du Nouveau-Mexique nécessitera une coopération concertée entre les agences fédérales, étatiques, tribales et la société civile
Cette étude fournit la justification de la conservation pour prendre une décision de réintroduction, montré que les jaguars habitaient cette région jusqu’à leur disparition par l’action humaine, et établi qu’étant donné l’espace, la végétation et la base de proies existants, les jaguars pourraient à nouveau prospérer dans cette zone.
Sanderson, EW, Beckmann, JP, Beier, P, et al. The case for reintroduction: The jaguar (Panthera onca) in the United States as a model. Conservation Science and Practice. 2021; 3:e392. https://doi.org/10.1111/csp2.392
[…] C’est ce que nous avons également vu dans l’article concernant la réintroduction du jaguar. Mais des mesures préventives peuvent limiter ces impacts comme la gestion des […]
[…] cerfs et restaurer les écosystèmes dégradés – manque également de preuves. Lorsque de grands prédateurs sont présents dans un paysage, les cerfs et autres herbivores paissent simplement lorsque les loups se […]