Rôle insoupçonné des herbiers marins face au changement climatique

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Un monde riche se cache derrière le rideau d’algues des herbiers marins. Ils représentent un atout clé dans notre biodiversité, leur protection est indispensable. Plus la compréhension de ces écosystèmes extraordinaires s’affine, plus leur rôle devient important dans la préservation de notre Terre.


Les herbiers marins influencent les processus côtiers clés tels que la productivité, le filtrage, la séquestration du carbone et les réseaux trophiques, faisant de ces habitats côtiers l’un des plus grands atouts économiques mondiaux parmi les écosystèmes naturels. Elles fournissent abri et nourriture à de nombreux organismes fauniques. La diversité de macrofaune est importante et liée à celles d’organismes plus petits.

On peut facilement imaginer que le dérèglement climatique touche particulièrement ces écosystèmes supportant une cascade d’espèces, tel un jeu de dominos. Si on change une variable de cet équilibre, c’est tout ou une partie du jeu qui s’écroule…

Un des fléau majeur à l’heure actuelle est l’eutrophisation des milieux côtiers. Il s’agit d’une forme de pollution qui se produit lorsqu’un milieu aquatique reçoit trop de matières nutritives assimilables par les algues. Si au départ le processus est normal sous certaines conditions, il est accentué et aggravé par les activités humaines. En effet l’utilisation d’engrais apporte, via les eaux de ruissellement beaucoup trop d’azote par exemple dans les zones côtières et permet la prolifération de tapis d’algues (algues vertes en Bretagne). Ces tapis inhibent alors le développement de la végétation autochtone et donc des communautés associées.

L’analyse de la diversité faunique associée à tout système marin ou terrestre est précieuse car elle permet de tester différentes hypothèses concernant les processus qui déterminent la distribution des espèces et le maintien de la biodiversité. La connaissance des modèles de diversité de la macrofaune à grande échelle est importante pour de meilleures décisions de gestion et des pratiques de conservation dans les habitats marins.


Quelles données recueillies et analysées ?

Les chercheurs se sont intéressés à des sites situés à 25 km le long de la rive sud de la péninsule de Hanko, en Finlande, d’est (régions protégées) en ouest (régions exposées). Les sites choisis l’ont été sur la base de la diversité connue pour être riche. Chacun d’eux a été subdivisé en quadrats (aire de la zone plus petite et toutes de taille identique). Pour chaque quadrat un inventaire complet des espèces de faune et de flore associées, a été fait. Le sol sédimentaire a aussi été échantillon pour comprendre la dynamique de chaque site et le processus de diversité. Ils ont caractérisé pour chaque site la diversité alpha (α) correspondant au nombre d’espèce dans un milieu donné. Ils ont également, entre site similaire, mesuré la diversité béta (β), soit le nombre de nouvelles espèces comparé au référentiel de la diversité alpha.


Quels résultats ?

L’étude a clairement démontré une richesse en espèce plus grande au sein des herbiers comportant une diversité et une complexité de plantes plus grandes. Cette communauté de macrofaune est également régulée par des phénomènes environnementaux comme la présence de tapis d’algues éphémères.

Les sédiments composant la base des herbiers marins montrent une claire distinction entre les sites à l’intérieur de la péninsule et à l’extérieur. Ces derniers étant plus exposés aux aléas environnementaux montrent une plus grande diversité dans les structures des sédiments, la granulométrie n’est pas constante. Cependant il n’a pas été possible de relier ce fait à une diversité plus ou moins grande dans la macrofaune ainsi que dans la flore. Les auteurs sont seulement en mesure de conclure (et c’est déjà beaucoup) que les herbiers marins même sur de petites distances ont des profils très variés.

Cette étude appuie les dernières études concernant les herbiers marins : à savoir qu‘ils permettent une abondance en faune et flore beaucoup plus grande que les zones voisines non végétalisées.
Ce qui est innovant ici c’est la preuve que la diversité des espèces, et non pas seulement l’abondance, (le nombre d’individus) est plus important dans les écosystèmes associées aux herbiers marins avec une biomasse végétale plus grande. En effet cette étude est la première à comparer plusieurs herbiers sur une large échelle spatiale et de conditions environnementales (c’est-à-dire plus ou moins exposé).

Pour expliquer les diversités béta différentes entre les sites (donc la composition différente en espèce, on ne parle pas ici de nombre mais bien de sorte d’espèces différentes), on a l’habitude en écologie de faire appel à deux concepts : l’imbrication (nestedness) et le remplacement (turn-over).
Essayons de les expliquer simplement !

  • L’imbrication correspond au fait qu’une espèce ait une aire répartition beaucoup plus petite que la zone étudiée et se trouve donc imbriquée dans cette zone plus grande. Elle ne sera donc pas présente sur toute la zone, elle est juste imbriquée dans la zone d’étude.
  • Pour le remplacement, il s’agit du remplacement d’espèce par d’autres lors de changement dans les facteurs environnementaux.

Il est donc essentiel de pouvoir faire la différence entre ces deux concepts et surtout de déterminer lequel sous-tend les processus écologiques à l’origine de la variation spatiale de la biodiversité dans une communauté. Ceci dans le but de protéger la diversité régionale et aider à la planification de la conservation. En effet, selon le concept qui dirige la composition d’un écosystème (imbrication ou turnover) les stratégies de conservation sont diamétralement opposées !
L’imbrication suggère que la conservation devrait cibler les sites les plus riches, tandis que le renouvellement donnerait la priorité à la conservation de plusieurs sites (Baselga 2010). Ici, les auteurs ont trouvé que c’était la composante turn-over qui dominait. Ceci suggère donc de consacrer des efforts de conservation côtière à un grand nombre de prairies différentes, même lorsque certains sites individuels ne sont pas particulièrement diversifiés.

La différence dans la granulométrie des sédiments mise en avant plus haut et la variabilité au sein des macrophytes (plante aquatique de grande taille) explique de manière concomitante la diversité attestée en macrofaune. Par exemple, l’environnement physique est un puissant mécanisme de régulation des communautés d’herbiers marins, et simultanément les herbiers marins peuvent modifier l’environnement physique côtier, en piégeant les particules de sédiments et en atténuant l’action des vagues (Bowden et al. 2001), facilitant un nombre moyen de taxons.
Les résultats de l’étude confirment l’importance de considérer une combinaison de différents descripteurs de la macrofaune, y compris la large division en épifaune (faune marine fixée sur la sable) et endofaune (faune vivant parmi les particules de sédiments dans l’environnement aquatique), pour comprendre les mécanismes qui régulent la variabilité de la macrofaune des herbiers.

Le problème des tapis d’algues dérivantes n’en est ici pas un, selon les auteurs. S’accrochant dans les grandes herbes de ces écosystèmes, ces algues peuvent servir d’habitat alternatif à de nombreuses espèces de macrofaune et donc augmenter de manière conséquente l’abondance des espèces. Rappelez-vous les auteurs ont démontré que le concept de turn-over dominait les processus écologiques permettant d’expliquer la diversité des herbiers marins. Les tapis d’algues font partie de ce concept. En effet ils permettent une dispersion des espèces entre les différents sites d’herbiers marins et donc le remplacement d’espèces d’un site à l’autre et leur complémentarité. Des tapis de dérive saisonnièrement modérés constitués d’algues hétérogènes ont donc un effet positif sur la diversité de la communauté de macrofaune associée à l’herbier.


Conclusions

Les herbiers marins sont l’un des habitats marins les plus menacés de la planète, et empêcher la perte d’un habitat aussi complexe et diversifié est une priorité et un défi pour la conservation côtière.

Les proliférations d’algues nuisibles sont considérées comme l’une des plus grandes menaces pour la végétation pérenne dans les habitats côtiers. Le rôle positif des tapis d’algues d’origine naturelle sur la macrofaune des herbiers n’a jamais été démontré auparavant.

Comprendre la dynamique de la communauté de la macrofaune à travers un gradient de paysage marin de prairies sous-marines multi-spécifiques (en d’autres termes comprendre pourquoi telle espèces est présente dans un herbier donné et pas dans un autre) est essentielle pour établir comment la biodiversité de ces écosystèmes peut répondre au changement climatique . C’est ce que c’est attaché à faire cette étude, concluant qu’il est primordial de préserver la diversité structurelle des herbiers marins même si en termes de nombres d’espèces certaines zones en sont moins pourvues. Toutes les sortes d’herbiers marins se complètent leur permettant d’amortir les impacts négatifs du réchauffement climatique dans une certaine mesure. C’est donc la gestion et protection de la diversité des habitats au sein des écosystèmes d’herbiers marins qui permettront la préservation in fine d’une biodiversité importante.


Rodil, I.F., Lohrer, A.M., Attard, K.M. et al. Macrofauna communities across a seascape of seagrass meadows: environmental drivers, biodiversity patterns and conservation implications. Biodivers Conserv (2021). https://doi.org/10.1007/s10531-021-02234-3A