Stratégies de survie des requins blancs juvéniles près des plages : enjeu de conservation et de sécurité

Les jeunes requins blancs, souvent éclipsés par l’image terrifiante de leurs aînés, ont des habitudes qui pourraient bien aider à mieux les comprendre et à les protéger. Une étude récente révèle que ces juvéniles préfèrent les eaux peu profondes et proches du rivage, une découverte qui a des implications tant pour leur conservation que pour la sécurité des zones côtières.


Une stratégie de survie dans les eaux peu profondes

Des recherches menées par des scientifiques de l’Université d’État de Californie ont mis en lumière une caractéristique comportementale notable chez les jeunes requins blancs : leur choix délibéré de s’établir dans des zones littorales très proches de la terre ferme. Ces secteurs, désignés sous le nom de « nurseries », ne dépassent pas dix mètres de profondeur. Ils se situent à moins d’un kilomètre des côtes.

Ce comportement est particulièrement avantageux pour ces jeunes requins, leur fournissant un habitat relativement sûr et contrôlé où ils peuvent croître sans la menace constante des prédateurs marins plus grands. Le Dr Christopher Lowe, qui a dirigé cette étude, souligne que ces habitats peu profonds sont stratégiquement choisis non seulement pour leur sécurité mais aussi pour les conditions thermiques qu’ils offrent. Les températures de l’eau oscillent idéalement entre 16 et 22 °C, ce qui est crucial pour le développement optimal des jeunes requins.

Le Dr Lowe explique que ces « nurseries » côtières bénéficient d’un accès facilité à des ressources alimentaires abondantes. En effet, la proximité du rivage et la faible profondeur des eaux facilitent l’accès à une variété de proies, des petits poissons aux céphalopodes, qui abondent dans ces zones. Cette abondance alimentaire, combinée à une température de l’eau favorable, permet aux requins juvéniles de maximiser leur croissance tout en minimisant les dépenses énergétiques nécessaires à la chasse et à l’évitement des prédateurs.

« L’environnement que nous identifions comme nurseries joue donc un rôle critique non seulement dans la protection des jeunes requins mais aussi dans leur développement physique » ajoute Lowe. Ces découvertes ouvrent des perspectives nouvelles pour les stratégies de conservation des requins blancs, en soulignant l’importance de protéger ces zones côtières spécifiques pour soutenir la survie et la santé des populations de jeunes requins.

Technologie et études comportementales

L’équipe dirigée par le Dr Christopher Lowe a entrepris une démarche innovante pour étudier les comportements des jeunes requins blancs en équipant 22 individus de capteurs avancés. Ces dispositifs ont permis de collecter des données en temps réel sur leur position dans l’eau ainsi que sur les conditions environnementales immédiates, notamment la température. Le suivi a été interrompu pendant les mois d’hiver, lorsque les juvéniles partaient temporairement vers les eaux du large.

La première auteure, Emily Spurgeon, marque un jeune grand requin blanc. © Patrick Rex

L’analyse des données a révélé des modèles comportementaux spécifiques, particulièrement en ce qui concerne leur gestion de la température corporelle. En effet, les requins semblent ajuster leur position verticale au sein de la colonne d’eau pour maintenir leur corps dans une gamme de température optimale pour leur métabolisme. Ainsi, pendant les périodes plus chaudes de l’après-midi, ils montent à des profondeurs moindres pour absorber davantage de chaleur, ce qui favorise leur croissance et leur développement.

Grand requin blanc juvénile vu depuis le véhicule autonome sous-marin sans pilote. © Emily Spurgeon

Ces comportements ont été cartographiés grâce à l’utilisation d’intelligence artificielle pour analyser les vastes quantités de données recueillies par les capteurs. En transformant ces données en modèles 3D détaillés, les chercheurs ont pu visualiser et comprendre les mouvements des requins avec une précision sans précédent. Ces modèles tridimensionnels illustrent non seulement les préférences de profondeur des requins à différents moments de la journée mais aussi leur réponse aux variations de température dans leur environnement immédiat. Cette approche technologique offre une fenêtre inédite sur la vie intime des requins juvéniles et éclaire les stratégies qu’ils déploient pour optimiser leur énergie et leur croissance dans les habitats côtiers qu’ils fréquentent.

Implications pour la conservation des requins et la sécurité publique

Ce que les chercheurs ne savent pas encore, c’est quels avantages tirent les juvéniles dans ce rassemblement près des côtes. Un avantage pourrait être d’éviter les prédateurs.

« Nos résultats montrent que la température de l’eau est un facteur clé qui attire les juvéniles vers la zone étudiée. Cependant, il existe de nombreux endroits sur la côte californienne qui partagent des conditions environnementales similaires, de sorte que la température n’est pas tout. Les expériences futures examineront les relations individuelles, par exemple pour voir si certains individus se déplacent en tandem entre les pépinières », a déclaré Emily Spurgeon.

Les données recueillies par l’équipe du Dr Lowe jouent un rôle essentiel dans la formulation de mesures de conservation pour les requins blancs. Cette espèce se classe actuellement comme vulnérable. Comme le souligne Emily Spurgeon, une compréhension approfondie des réponses des requins à leur environnement est indispensable pour développer des modèles prédictifs qui orienteront les politiques de gestion des plages et des activités maritimes. Cela contribue à la réduction de la stigmatisation négative souvent associée à ces animaux marins.

Pour conclure, l’importance de telles études ne peut être sous-estimée, tant pour la conservation des requins que pour la sécurité publique. Ces modèles peuvent aider à maintenir l’équilibre écologique des écosystèmes marins, d’autant plus que la température des océans continue d’augmenter.

Source : E. Spurgeon et al., “The influence of micro-scale thermal habitat on the movements of juvenile white sharks in their Southern California aggregation sites”, Frontiers in Marine Science (2024)