Qu’en est-il du bien être des animaux marins ?

Le bien-être animal est partout présent dans les médias, relatif à l’élevage intensif. On en parle également pour les animaux en captivité, bien que les parcs zoologiques fassent de considérables progrès pour améliorer les conditions de vie de leurs pensionnaires. Mais qu’en est-il des animaux marins, que ce soit en captivité ou à l’état sauvage ? En effet de nombreuses études sont focalisées sur les animaux terrestres, plus facile d’accès dirons nous, dans une certaine mesure…

Mesurer le bien-être animal

On a longtemps considéré que le bien-être animal se réduisait à répondre aux besoins de base d’une espèce en terme de nourriture et d’espace de vie, vision historique provenant des conditions d’élevage intensif. Or il est apparu que le concept de bien-être était bien plus complexe, faisant intervenir trois champs d’études concurremment : la physiologie, le comportement et la cognition. Le bien-être est donc une balance entre ces trois facteurs, faisant passer les individus d’états émotionnels positifs à négatifs et vice-versa selon l’environnement et les situations. Les états émotionnels sont transitoires. C’est Spruijt (2005) qui introduit le principe de triangulation, relatif aux trois domaines cités ci-dessus, pour l’étude du bien-être, ce dernier se trouvant au centre. En d’autres termes, ces trois domaines représentent les trois voies d’accès que nous avons pour déterminer le bien-être d’un animal.

Principe de triangulation de Spruijt (2005)

Un certain nombres d’études ont été menées sur ce principe de triangulation au niveau des espèces terrestres, mais il y a un manque de données manifeste sur les espèces marines et notamment les mammifères marins. Evidemment, des recherches existent mais ne portant pas directement sur le bien-être. Avec ce principe de triangulation, nous pouvons ré-évaluer ces études et en tirer des données physiologiques, par exemple, nous permettant d’avoir plus de modalités et un référentiel de valeurs pour appréhender toute nouvelle étude du bien-être animal. Regroupant tous ces éléments, la mise en place d’un protocole intégrant une vision multimodale du bien-être sera plus efficace, et de qualité, et applicable aux espèces marines que ce soit en captivité ou dans leur milieu naturel. 

Les mammifères marins

Dauphin commun, Wikipedia (c)

Une étude sur les dauphins (Clegg et al., 2017) utilise cette vision multidimensionnelle pour une évaluation qui se veut la plus objective possible de l’état émotionnel de ces animaux. Le principe général et les mesures effectuées sur cette espèce peuvent être appliqués à d’autres cétacés et permettent d’accroître notre connaissance de ces animaux et d’améliorer les plans de conservation les concernant. 
Niveaux de cortisol, inappétence, blessures corporelles, mais aussi comportements de jeu, comportements tactiles et comportements stéréotypiques ont été les principales modalités étudiées, reflétant au mieux les particularités de l’espèce. C’est ce qui ressort de l’article, il faut créer des protocoles d’étude spécifiques, se basant sur une trame commune, la triangulation. Ces protocoles demandent la coopération et l’action conjointe de plusieurs domaines des sciences, les rendant légitimes et compétents.

En parcs zoologiques…

En captivité, le meilleur moyen d’améliorer le bien-être est d’avoir recours à des enrichissements, c’est à dire de créer des circonstances favorisant la balance émotionnelle du côté positif. Mais la définition basique d’enrichissement persiste : il s’agit d’une addition de stimuli, ou de situations nécessitant des choix, pour stimuler un ou plusieurs sens (Azevedo et al., 2007), ce qui n’a pas d’impact notoire sur les états de bien-être animal, selon la définition établie par Spruijt (2005). Il est donc impératif de définir de manière consensuelle le bien-être des animaux marins. Et par suite de définir des protocoles de mesures permettant de dégager des enrichissements réellement efficaces.
Et ne l’oublions pas : nous sommes des humains vivant en milieu terrestre et non en milieu marin, ce qui induit forcément une méconnaissance de ce-dernier et des conditions idéales pour le bien-être des mammifères marins. Nous supposons mais comme le souligne Delfour et al. (2017), nous nous trompons souvent. Nous n’avons pas la conception intrinsèque (« umwelt ») de ce milieu que les animaux, s’y trouvant, ont. Par exemple, pour les dauphins, il est apparu qu’ils préféraient des objets simples flottants que des enrichissements plus complexes, contrairement à ce que l’on pourrait croire. En effet, il semble qu’ils privilégient ces objets simples car ils peuvent créer leurs propres jeux avec. Ils passent beaucoup plus de temps et multiplient les interactions entre eux via ces enrichissement simples.

Dauphin en parc zoologie, Pexels (c)

A l’état sauvage…

Le bien-être animal en milieu naturel est très peu documenté. Quelques recherches sur l’impact de l’homme en milieu marin relatif au bien-être des animaux voient le jour (A.J. de Vere et al., 2018 ; M.P. Simmonds, 2018). Les impacts anthropogéniques se composent de la pollution par le bruit, la pollution chimique, le nombre de navires toujours grandissant, et les déchets en tout genre. On peut citer l’article de W. K. Meyer et al. (2018) concernant la vulnérabilité des mammifères marins aux pesticides, ce qui joue forcément sur leur bien-être, étant intimement lié à la santé. 

Il est évident que les protocoles de mesures de bien-être animal en milieu sauvage et en milieu aquatique vont être de natures différentes. Il est mal aisé d’identifier des individus entre eux (outre les puces ou balises électroniques que l’on peut placer sur les individus), il est également difficile d’avoir accès sur une longue période aux mêmes individus et d’initier des procédures de mesures longues ou ardues à mettre en place. Partant du cas d’étude des dauphins, Clegg et al. (2017), expliquent que les nages en groupe, typiques des dauphins, sont un moment privilégié pour les étudier, et même réaliser des mesures acoustiques. Ces dernières permettent aux chercheurs de témoigner de l’impact de la pollution par le bruit sur le bien-être de ces animaux . L’intérêt supplémentaire des mesures en groupe est d’éviter le stress engendré par la capture et la séparation des individus du groupe social, et l’accès à des comportements « nouveaux  » pour nous, qui n’auraient pas lieu en situation d’isolement.

Groupe de dauphins au large des Galapagos, Wikimedia (c)

Le bien-être animal étant considéré comme la balance entre les états émotionnels positifs et négatifs de l’individu, il a autant de valeur pour un animal en milieu naturel que pour un animal en captivité. Les implications de telles études sur les animaux sauvages sont grandes, concernant les plans d’action de conservation qu’il nous faut mettre en place pour stopper l’érosion de la biodiversité. En effet l’état de bien-être d’un animal et les conditions de son environnement nous donne des point d’accès et des paramètres pour mettre en oeuvre des actions de conservation. 66% du milieu marin est profondément altéré par les activités humaines, 33% des mammifères marins sont en voie d’extinction du fait du changement climatique et des pollutions humaines. 

L’épistémologie des sciences nous enseigne que les domaines de recherches ont évolués, évoluent et évolueront toujours en étroite collaboration avec la société dans laquelle les scientifiques vivent. Ainsi le bien-être animal a d’abord été cantonné au domaine de l’élevage, puis des parcs animaliers et des espaces naturels terrestres, car nous empiétions de plus en plus sur les aires de distribution des espèces animales environnantes. A l’heure actuelle, notre impact gagne un terrain considérable sur le domaine marin, où vivent des espèces qui malheureusement adoptent le statut d’espèces en voie d’extinction du fait de nos activités. C’est ainsi que l’étude du bien-être animal se voit ouvrir une nouvelle perspective d’étude, les animaux marins et plus particulièrement les mammifères marins.

Le progrès fait évoluer et accroître les champs de recherches mais seulement en réponse à des menaces d’extinction, seulement en réponse à des drames. Le rapport de l’IPBES est sans appel, AUJOURD’HUI est notre dernière chance d’inverser la balance de l’érosion de la biodiversité, notre dernier espoir d’un changement transformateur.

Spruijt, B. M., van den Bos, R., & Pijlman, F. T. A. (2001). A concept of welfare based on reward evaluating mechanisms in the brain: Anticipatory behaviour as an indicator for the state of reward systems. Applied Animal Behaviour Science, 72(2), 145-171. https://doi. org/10.1016/S0168-1591(00)00204-5

Webster, J. (2005). Animal welfare: Limping towards Eden (UFAW Animal Welfare Series). Oxford, UK: Blackwell Publishing Ltd. https://doi.org/10.1002/9780470751107

I.L.K. Clegg and F. Delfour (2018). Can We Assess Marine Mammal Welfare in Captivity and in the Wild? Considering the Example of Bottlenose Dolphins. Aquatic Mammals 2018, 44(2), 181-200, DOI 10.1578/AM.44.2.2018.181

I.L.K. Clegg, C.E. Van Elk and F. Delfour (2018). Applying welfare science to bottlenose dolphins (Tursiops truncatus). Animal Welfare 2017, 26: 165-176ISSN 0962-7286. doi: 10.7120/09627286.26.2.165

A.J. de Vere et al., (2018). Anthropogenic Impacts on the Welfare of Wild Marine Mammals. Aquatic Mammals 2018, 44(2), 150-180, DOI 10.1578/AM.44.2.2018.150

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