Tout connaitre du jaguar… ou presque ;-)

N’avez vous jamais voulu connaitre l’emploi du temps de votre animal préféré, comment il occupait ses journées !? Une récente étude s’est intéressée au jaguar et a réussi à démontrer l’effet du sexe, de l’âge et de l’état de reproduction sur le schéma d’activité de ces carnivores solitaires.


Les animaux adaptent leurs activités à leurs besoins de repos, de reproduction, de chasse, de fuite, … Les jaguars ne font pas exception. Chez les carnivores, ce trade-off activité/repos est façonné principalement par la disponibilité des proies, et leur capacité à les attraper. Certains ont des activité diurnes, d’autres nocturnes, dépendant de leur niveau de vision, du schéma de comportement des proies (elles aussi peuvent être plutôt diurnes ou nocturnes, il vaut mieux se caler sur le rythme de sa proie pour l’attraper ^^). Il ne faut pas oublier qu’un carnivore d’une espèce donnée n’est pas seule à chasser. Même s’il défend son territoire, il peut être en concurrence avec des congénères, ou d’autres espèces plus ou moins féroces visant les mêmes types de proies. Ajouté à cela le fait d’éviter l’être humain…
Il est important de connaitre le schéma d’activité, ainsi que les aires de répartition liées à ces activités pour éviter, d’un côté les conflits entre hommes/animaux et, d’autre part, pour préserver des espèces en danger en définissant leurs besoins précis.

Chez les grands félidés ces schémas d’activités varient selon le sexe, l’âge et les statuts reproducteurs. En effet nous pouvons identifier trois types de comportements :

  • Les femelles, solitaires et seules responsables de l’élevage de la progéniture, doivent consacrer un temps considérable à la chasse, à la vigilance et à l’éducation des petits. Mais le risque d’infanticide par les mâles doit pousser petits et femelles à rester extrêmement vigilants. Leurs schémas de comportements peuvent alors varier quotidiennement !
  • Les mâles adultes en dehors de la chasse pour leur propre entretien, visitent constamment leurs vastes territoires, assistent leurs femelles et les défendent contre d’autres mâles, et tentent de prendre le contrôle d’autres femelles.
  • Les subadultes doivent se disperser loin pour rechercher leurs propres territoires.

Le jaguar (Panthera onca) est représentatif des félidés solitaires. Il existe des études portant sur les activités nocturnes ou crépusculaires notamment en termes de chasse ou de compétition inter espèces, mais les activités diurnes spécifiques à l’espèce restent pour une grande partie inconnue.

Hypothèses de l’étude

  • Les femelles adultes reproductrices devraient être actives plus longtemps que les non reproductrices en raison de leurs besoins énergétiques plus élevés. Leurs schémas d’activités devraient être plus diurnes en raison des soins maternels, de la même manière que cela a été trouvé chez plusieurs autres félidés.
  • Les jaguars mâles adultes devraient montrer un schéma similaire à celui des femelles reproductrices, car une grande partie de leur activité est liée à l’accès, à l’assistance ou à la défense de leurs femelles.
  • Les jaguars les plus jeunes (les petits) devraient avoir le niveau d’activité le plus bas.

Zone d’étude et méthode

L’étude a été menée à Hato Piñero, dans l’État de Cojedes, à Los Llanos au Venezuela. Cette zone de 800 km² comprend les collines de la chaîne El Baúl et les plaines entre les rivières Cojedes, Portuguesa, Chirgua et Pao. Jusqu’en 2010, Hato Piñero était un ranch privé, qui contrôlait la chasse depuis 1951, et dirigeait une opération d’écotourisme depuis les années 1980. Aujourd’hui, c’est un ranch d’État avec un certain régime de conservation (pas de chasse, pas d’exploitation forestière, la moitié de la zone est maintenue sans bétail ni aucun autre impact humain). Les jaguars sont protégés à l’intérieur de Hato Piñero ; cependant, ils sont généralement tués en dehors de la zone.
L’équipe a réalisé un piégeage caméra en continu de juillet 2013 à février 2016 (935 jours) dans une zone d’étude de 170 km² localisée dans la partie centre-nord du ranch. Les données obtenues ont été traitées par analyses statistiques.

Comment les jaguars s’activent ?

Les jaguars montrent une faible activité diurne, ils ont commencé à se déplacer après le coucher du soleil et ils étaient assez actifs toute la nuit. Il y a eu deux pics d’activité clairs : 1 h après le coucher du soleil et juste avant le lever du soleil pour tous les jaguars. Ceci s’explique généralement, pour d’autres zones de répartition, par la synchronisation avec leurs proies comprenant le pécari à collier (Pecari tajacu), le capybara (Hydrochoerus hydrochaeris) et le pécari à lèvres blanches (Tayassu pecari). Or dans cette région, ils ont principalement une activité diurne. Ceci nous amène donc à soupçonner d’autres facteurs intervenant dans le schéma d’activité nocturne des jaguars.
Le plus important est la dépense énergétique, fluctuant avec l’âge, le sexe et le statut de reproduction.
Selon l’hypothèse des chercheurs et les résultats, les femelles reproductrices qui doivent s’occuper des jeunes, chasser pour eux et pour elles-mêmes, défendre le territoire et s’accoupler ont eu le temps d’activité le plus long. Les mâles, qui chassent pour eux-mêmes, qui patrouillent leurs territoires, s’accouplent et défendent leurs femelles, ont la deuxième activité la plus longue. Les femelles non reproductrices qui chassent uniquement pour elles-mêmes ont un niveau d’activité encore plus faible, tandis que les jeunes qui ne se reproduisent pas encore et n’ont pas besoin de chasser sont les moins actifs (environ 5 h de moins que leurs mères).

L’aspect intéressant de ces données est de les coupler entre elles pour savoir si des groupes utilisent les mêmes « horaires » d’activités. En effet, les mâles et les femelles reproductrices semblent être actives aux mêmes instants, ce qui favorisent les interactions, la défense des femelles par les mâles ou pour ces derniers leur donnent accès à des informations concernant les statuts reproducteurs des femelles.
On peut expliquer le plus faible taux d’activité des petits par le fait que leur mères leur procurent des proies mortes, ils peuvent ainsi rester cachés et se nourrir sans craindre de rencontrer un mâle et risquer d’être tué par ce-dernier.

Les femelles non reproductrices et les mâles juvéniles, n’ont pu être analysés, par manque de données. En se dispersant loin des mâles adultes, ils n’ont pu être détecté par les pièges photographiques.
Une analyse avec plus de données pourrait conforter les faits établis et les affiner. Par exemple, on peut supposer que les différentes phases du cycle de reproduction modifient les budgets d’activité des femelles, comme chez le lynx eurasien et les tigres de l’Amour (Schmidt 1999 ; Jędrzejewski et al. 2002 ; Petrunenko et al. 2020) et joueraient donc sur les périodes d’activité ou d’inactivité.


Conclusion

Les projets à long terme qui ont la possibilité de collecter des ensembles de données plus importants sont cruciaux pour augmenter la précision des estimations d’activité et comprendre les facteurs qui les déterminent.

Connaitre l’écologie précise d’une espèce, et surtout d’une espèce à protéger, permet la mise en place de plans de préservation et de conservation in situ fiables et efficaces, évitant également les conflits avec l’Homme, comme nous l’avons démontré dans le précédent article sur les tortues vertes du Dr. Jeffrey Seminoff.


Jędrzejewski, W., Vivas, I., Abarca, M. et al. Effect of sex, age, and reproductive status on daily activity levels and activity patterns in jaguars (Panthera onca). Mamm Res 66, 531–539 (2021). https://doi.org/10.1007/s13364-021-00589-0